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Le conte précédent : Histoire de la dame massacrée et du jeune homme son mari


Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La centième nuit

SIRE, dit-elle, le visir Giafar continuant de parler au calife :
« Bedreddin Hassan, poursuivit-il, se trouvant près des joueurs d’instruments, des danseurs et des danseuses qui marchaient immédiatement devant le bossu, tirait de temps en temps de sa bourse des poignées de sequins qu’il leur distribuait. Comme il faisait ses largesses avec une grâce sans pareille et un air très-obligeant, tous ceux qui les recevaient, jetaient les yeux sur lui ; et dès qu’ils l’avoient envisagé, ils le trouvaient si bien fait et si beau, qu’ils ne pourvoient plus en détourner leurs regards.
« On arriva enfin à la porte du visir Schemseddin Hassan, qui était bien éloigné de s’imaginer que son neveu fût si près. de lui. Des huissiers, pour empêcher la confusion, arrêtèrent tous les esclaves qui portaient des flambeaux, et ne voulurent pas les laisser entrer. Ils repoussèrent même Bedreddin Hassan ; mais les joueurs d’instruments pour qui la porte était ouverte, s’arrêtèrent en protestant qu’ils n’entreraient pas si on ne le laissait entrer avec eux. « Il n’est pas du nombre des esclaves, disaient-ils, il n’y a qu’à le regarder pour en être persuadé. C’est, sans doute, un jeune étranger qui veut voir par curiosité les cérémonies que l’on observe aux noces en cette ville. » En disant cela, ils le mirent au milieu d’eux, et le firent entrer malgré les huissiers. Ils lui ôtèrent son flambeau qu’ils donnèrent au premier qui se présenta ; et après l’avoir introduit dans la salle, ils le placèrent à la droite du bossu, qui s’assit sur un trône magnifiquement orné près de la fille du visir.
« On la voyoit parée de tous ses atours ; mais il paraissait sur son visage une langueur, ou plutôt une tristesse mortelle, dont il n’était pas difficile de deviner la cause, en voyant à côté d’elle un mari si difforme et si peu digne de son amour. Le trône de ces époux si mal assortis était au milieu d’un sofa. Les femmes des émirs, des visirs, des officiers de la chambre du sultan, et plusieurs autres dames de la cour et de la ville, étoient assises de chaque côté un peu plus bas, chacune selon son rang, et toutes habillées d’une manière si avantageuse et si riche, que c’étoit un spectacle très-agréable à voir. Elles tenaient de grandes bougies allumées.
« Lorsqu’elles virent entrer Bedreddin Hassan, elles jetèrent les yeux sur lui ; et admirant sa taille, son air et la beauté de son visage, elles ne pouvaient se lasser de le regarder. Quand il fut assis, il n’y en eut pas une qui ne quittât sa place pour s’approcher de lui et le considérer de plus près ; et il n’y en eut guère qui, en se retirant pour aller reprendre leurs places, ne se sentissent agitées d’un tendre mouvement.
« La différence qu’il y avait entre Bedreddin Hassan et le palefrenier bossu, dont la figure faisait horreur, excita des murmures dans l’assemblée. « C’est à ce beau jeune homme, s’écrièrent les dames, qu’il faut donner notre épousée, et non pas à ce vilain bossu. » Elles n’en demeurèrent pas là ; elles osèrent faire des imprécations contre le sultan, qui, abusant de son pouvoir absolu, unissait la laideur avec la beauté. Elles chargèrent aussi d’injures le bossu, et lui firent perdre contenance, au grand plaisir des spectateurs, dont les huées interrompirent pour quelque temps la symphonie qui se faisait entendre dans la salle. À la fin, les joueurs d’instruments recommencèrent leurs concerts, et les femmes qui avoient habillé la mariée, s’approchèrent d’elle…
En prononçant ces dernières paroles, Scheherazade remarqua qu’il était jour. Elle garda aussitôt le silence ; et la nuit suivante, elle reprit ainsi son discours :

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