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Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La cent vingt une nuit

SIRE, le visir Giafar continuant de parler au calife :
« Bedreddin Hassan, dit-il, avait beau demander en chemin aux personnes qui l’emmenaient, ce que l’on avait trouvé dans sa tarte à la crème, on ne lui répondait rien. Enfin il arriva sous les tentes, où on le fit attendre jusqu’à ce que Schemseddin Mohammed fût revenu de chez le gouverneur de Damas.
« Le visir étant de retour, demanda des nouvelles du pâtissier ; on le lui amena. « Seigneur, lui dit Bedreddin les larmes aux yeux, faites-moi la grâce de me dire en quoi je vous ai offensé. » « Ah, malheureux, répondit le visir, n’est-ce pas toi qui as fait la tarte à la crème que tu m’as envoyée ? » « J’avoue que c’est moi, repartit Bedreddin. Quel crime ai-je commis en cela ? « Je te châtierai comme tu le mérites, répliqua Schemseddin Mohammed, et il t’en coûtera la vie pour avoir fait une si méchante tarte. « Hé bon Dieu, s’écria Bedreddin, qu’est-ce que j’entends ! Est-ce un crime digne de mort d’avoir fait une méchante tarte à la crème ? » « Oui, dit le visir, et tu ne dois pas attendre de moi un autre traitement. »
« Pendant qu’ils s’entretenaient ainsi tous deux, les dames, qui s’étaient cachées, observaient avec attention Bedreddin, qu’elles n’eurent pas de peine à reconnaître, malgré le long temps quelles ne l’avoient vu. La joie qu’elles en eurent, fut telle, qu’elles en tombèrent évanouies. Quand elles furent revenues de leur évanouissement, elles voulaient s’aller jeter au cou de Bedreddin ; mais la parole qu’elles avoient donnée au visir de ne se point montrer, l’emporta sur les plus tendres mouvemens de l’amour et de la nature.
« Comme Schemseddin Mohammed avait résolu de partir cette même nuit, il fit plier les tentes et préparer les voitures pour se mettre en marche ; et à l’égard de Bedreddin, il ordonna qu’on le mît dans une caisse bien fermée, et qu’on le chargeât sur un chameau. D’abord que tout fut prêt pour le départ, le visir et les gens de sa suite se mirent en chemin. Ils marchèrent le reste de la nuit et le jour suivant sans se reposer. Ils ne s’arrêtèrent qu’à l’entrée de la nuit. Alors on tira Bedreddin Hassan de sa caisse pour lui faire prendre de la nourriture ; mais on eut soin de le tenir éloigné de sa mère et de sa femme ; et pendant vingt jours que dura le voyage, on le traita de la même manière.
« En arrivant au Caire, on campa aux environs de la ville par ordre du visir Schemseddin Mohammed, qui se fit amener Bedreddin, devant lequel il dit à un charpentier qu’il avait fait venir : « Va chercher du bois et dresse promptement un poteau. » « Hé, Seigneur, dit Bedreddin, que prétendez-vous faire de ce poteau ? » « T’y attacher, repartit le visir, et te faire ensuite promener par tous les quartiers de la ville, afin qu’on voie en ta personne un indigne pâtissier qui fait des tartes à la crème sans y mettre de poivre. » À ces mots, Bedreddin Hassan s’écria d’une manière si plaisante, que Schemseddin Mohammed eut bien de la peine à garder son sérieux : « Grand Dieu, c’est donc pour n’avoir pas mis de poivre dans une tarte à la crème, qu’on veut me faire souffrir une mort aussi cruelle qu’ignominieuse ! »
En achevant ces mots, Scheherazade remarquant qu’il était jour, se tut, et Schahriar se leva en riant de tout son cœur de la frayeur de Bedreddin, et fort curieux d’entendre la suite de cette histoire, que la sultane reprit de cette sorte le lendemain avant le jour :

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