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Le conte précédent : Histoire de la dame massacrée et du jeune homme son mari


Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La quatre vingt dix-neuvième nuit

« LE sultan d’Égypte, choqué du refus et de la hardiesse de Schemseddin Mohammed, lui dit avec un transport de colère qu’il ne put retenir : « Est-ce donc ainsi que vous répondez à la bonté que j’ai de vouloir bien m’abaisser jusqu’à faire alliance avec vous ? Je saurai me venger de la préférence que vous osez donner sur moi à un autre ; et je jure que votre fille n’aura pas d’autre mari que le plus vil et le plus mal fait de tous mes esclaves. » En achevant ces mots, il renvoya brusquement le visir, qui se retira chez lui plein de confusion, et cruellement mortifié. Aujourd’hui le sultan a fait venir un de ses palefreniers qui est bossu par devant et par derrière, et laid à faire peur ; et après avoir ordonné à Schemseddin Mohammed de consentir au mariage de sa fille avec cet esclave, il a fait dresser et signer le contrat par des témoins en sa présence. Les préparatifs de ces bizarres noces sont achevés ; et à l’heure que je vous parle, tous les esclaves des seigneurs de la cour d’Égypte sont à la porte d’un bain, chacun avec un flambeau à la main. Ils attendent que le palefrenier bossu qui y est, et qui s’y lave, en sorte, pour le mener chez son épouse, qui, de son côté, est déjà coiffée et habillée. Dans le moment que je suis partie du Caire, les dames assemblées se disposaient à la conduire, avec tous ses ornements nuptiaux, dans la salle où elle doit recevoir le bossu, et où elle l’attend présentement. Je l’ai vue, et je vous assure qu’on ne peut la regarder sans admiration. »
 » Quand la fée eut cessé de parler, le génie lui dit : « Quoi que vous puissiez dire, je ne puis me persuader que la beauté de cette fille surpasse celle de ce jeune homme. » « Je ne veux pas disputer contre vous, répliqua la fée, je vous confesse qu’il mériterait d’épouser la charmante personne qu’on destine au bossu ; et il me semble que nous ferions une action digne de nous, si, nous opposant à l’injustice du sultan d’Égypte, nous pouvions substituer ce jeune homme à la place de l’esclave. » « Vous avez raison, repartit le génie ; vous ne sauriez croire combien je vous sais bon gré de la pensée qui vous est venue. Trompons, j’y consens, la vengeance du sultan d’Égypte ; consolons un père affligé, et rendons sa fille aussi heureuse qu’elle se croit misérable. Je n’oublierai rien pour faire réussir ce projet ; et je suis persuadé que vous ne vous y épargnerez pas ; je me charge de le porter au Caire sans qu’il se réveille, et je vous laisse le soin de le porter ailleurs quand nous aurons exécuté notre entreprise. »
 » Après que la fée et le génie eurent concerté ensemble tout ce qu’ils voulaient faire, le génie enleva doucement Bedreddin, et le transportant par l’air d’une vitesse inconcevable, il alla le poser à la porte d’un logement public et voisin du bain, d’où le bossu était près de sortir, avec la suite des esclaves qui l’attendaient.
« Bedreddin Hassan, s’étant réveillé en ce moment, fut fort surpris de se voir au milieu d’une ville qui lui était inconnue. Il voulut crier pour demander où il était ; mais le génie lui donna un petit coup sur l’épaule, et l’avertit de ne dire mot. Ensuite lui mettant un flambeau à la main : « Allez, lui dit-il, mêlez-vous parmi ces gens que vous voyez à la porte de ce bain, et marchez avec eux jusqu’à ce que vous entriez dans une salle où l’on va célébrer des noces. Le nouveau marié est un bossu que vous reconnaîtrez aisément. Mettez-vous à sa droite en entrant, et dès-à-présent, ouvrez la bourse de sequins que vous avez dans votre sein, pour les distribuer aux joueurs instruments, aux danseurs et aux danseuses dans la marche. Lorsque vous serez dans la salle, ne manquez pas d’en donner aussi aux femmes esclaves que vous verrez autour de la mariée, quand elles s’approcheront de vous. Mais toutes les fois que vous mettrez la main dans la bourse, retirez-la pleine de sequins, et gardez-vous de les épargner. Faites exactement tout ce que je vous dis avec une grande présence d’esprit ; ne vous étonnez de rien ; ne craignez personne, et vous reposez du reste sur une puissance supérieure qui en dispose à son gré. »
Le jeune Bedreddin, bien instruit de tout ce qu’il avait à faire, s’avança vers la porte du bain. La première chose qu’il fit, fut d’allumer son flambeau à celui d’un esclave ; puis se mêlant parmi les autres, comme s’il eût appartenu à quelque seigneur du Caire, il se mit en marche avec eux, et accompagna le bossu qui sortit du bain, et monta sur un cheval de l’écurie du sultan…
Le jour qui parut, imposa silence à Scheherazade, qui remit la suite de cette histoire au lendemain.

Le conte suivant : Histoire du petit bossu