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Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La cent dix huitième nuit

« COMMANDEUR des croyans, poursuivit le visir Giafar, Agib étonné d’entendre ce que lui disoit Bedreddin, répondit : « Il y a de l’excès dans l’amitié que vous me témoignez, et je ne veux point entrer chez vous que vous ne vous soyez engagé par serment à ne me pas suivre quand j’en serai sorti. Si vous me le promettez et que vous soyez homme de parole, je vous reviendrai voir encore demain, pendant que le visir mon aïeul achètera de quoi faire présent au sultan d’Égypte. » « Mon petit seigneur, reprit Bedreddin Hassan, je ferai tout ce que vous m’ordonnerez. » À ces mots, Agib et l’eunuque entrèrent dans la boutique.
« Bedreddin leur servit aussitôt une tarte à la crême, qui n’était pas moins délicate ni moins excellente que celle qu’il leur avait présentée la première fois. « Venez, lui dit Agib, asseyez-vous auprès de moi et mangez avec nous. » Bedreddin s’étant assis, voulut embrasser Agib pour lui marquer la joie qu’il avait de se voir à ses côtés ; mais Agib le repoussa en lui disant : « Tenez-vous en repos, votre amitié est trop vive. Contentez-vous de me regarder et de m’entretenir. » Bedreddin obéit, et se mit à chanter une chanson dont il composa sur-le-champ les paroles à la louange d’Agib. Il ne mangea point, et ne fit autre chose que servir ses hôtes. Lorsqu’ils eurent achevé de manger, il leur présenta à laver [9] et une serviette très-blanche pour s’essuyer les mains. Il prit ensuite un vase de sorbet, et leur en prépara plein une grande porcelaine où il mit de la neige [10] fort propre. Puis présentant la porcelaine au petit Agib : « Prenez, lui dit-il : c’est un sorbet de rose, le plus délicieux qu’on puisse trouver dans toute cette ville ; jamais vous n’en avez goûté de meilleur. » Agib en ayant bu avec plaisir, Bedreddin Hassan, reprit la porcelaine et la présenta aussi à l’eunuque, qui but à longs traits toute la liqueur jusqu’à la dernière goutte.
« Enfin Agib et son gouverneur rassasiés, remercièrent le pâtissier de la bonne chère qu’il leur avait faite, et se retirèrent en diligence, parce qu’il était déjà un peu tard. Ils arrivèrent sous les tentes de Schemseddin Mohammed, et allèrent d’abord à celle des dames. La grand’mère d’Agib fut ravie de le revoir ; et comme elle avait toujours son fils Bedreddin dans l’esprit, elle ne put retenir ses larmes en embrassant Agib. « Ah mon fils, lui dit-elle, ma joie serait parfaite, si j’avais le plaisir d’embrasser votre père Bedreddin Hassan, comme je vous embrasse. » Elle se mettait alors à table pour souper ; elle le fit asseoir auprès d’elle, lui fit plusieurs questions sur sa promenade ; et en lui disant qu’il ne devait pas manquer d’appétit, elle lui servit un morceau d’une tarte à la crème qu’elle avait elle-même faite, et qui était excellente ; car on a déjà dit qu’elle les savait mieux faire que les meilleurs pâtissiers. Elle en présenta aussi à l’eunuque ; mais ils en avoient tellement mangé l’un et l’autre chez Bedreddin, qu’ils n’en pouvaient pas seulement goûter…
Le jour qui paraissait, empêcha Scheherazade d’en dire davantage cette nuit ; mais sur la fin de la suivante, elle continua son récit dans ces termes :

Notes

[9Comme les Mahométans se lavent les mains cinq fois le jour lorsqu’ils vont faire leur prière, ils ne croient pas avoir besoin de se laver avant que de manger ; mais ils se lavent après, parce qu’ils mangent sans fourchette.

[10C’est ainsi que l’on rafraîchit la boisson promptement dans tout le Levant, où l’on a l’usage de la neige.

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