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Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La cent douzième nuit

« BEDREDDIN Hassan, poursuivit le visir Giafar, ayant jeté les yeux particulièrement sur Agib, se sentit aussitôt tout ému sans savoir pourquoi. Il n’était pas frappé, comme le peuple, de l’éclatante beauté de ce jeune garçon ; son trouble et son émotion avoient une autre cause qui lui était inconnue. C’était la force du sang qui agissait dans ce tendre père, lequel, interrompant ses occupations, s’approcha d’Agib, et lui dit d’un air engageant : « Petit Seigneur, qui m’avez gagné l’âme, faites-moi la grâce d’entrer dans ma boutique et de manger quelque chose de ma façon, afin que pendant ce temps-là j’aie le plaisir de vous admirer à mon aise. »
Il prononça ces paroles avec tant de tendresse, que les larmes lui en vinrent aux jeux. Le petit Agib en fut touché, et se tourna vers l’eunuque : « Ce bon-homme, lui dit-il, a une physionomie qui me plaît ; et il me parle d’une manière si affectueuse, que je ne puis me défendre de faire ce qu’il souhaite. Entrons chez lui, et mangeons de sa pâtisserie. » « Ah vraiment, lui dit l’esclave, il ferait beau voir qu’un fils de visir, comme vous, entrât dans la boutique d’un pâtissier pour y manger ; ne croyez pas que je le souffre. » « Hélas, mon petit Seigneur, s’écria alors Bedreddin Hassan, on est bien cruel de confier votre conduite à un homme qui vous traite avec tant de dureté. »
Puis s’adressant à l’eunuque : « Mon bon ami, ajouta-t-il, n’empêchez pas ce jeune seigneur de m’accorder la grâce que je lui demande : ne me donnez pas cette mortification. Faites-moi plutôt l’honneur d’entrer avec lui chez moi ; et par-là, vous ferez connaître que si vous êtes brun au-dehors comme la châtaigne, vous êtes blanc aussi au-dedans comme elle. Savez-vous bien, poursuivit-il, que je sais le secret de vous rendre blanc, de noir que vous êtes ? » L’eunuque se mit à rire à ce discours, et demanda à Bedreddin ce que c’était que ce secret. » Je vais vous l’apprendre, répondit-il. « Aussitôt il lui récita des vers à la louange des eunuques noirs, disant que c’était par leur ministère que l’honneur des sultans, des princes et de tous les grands était en sûreté. L’eunuque fut charmé de ces vers ; et cessant de résister aux prières de Bedreddin, laissa entrer Agib dans sa boutique, et y entra aussi lui-même.
« Bedreddin Hassan sentit une extrême joie d’avoir obtenu ce qu’il avait désiré avec tant d’ardeur ; et se remettant au travail qu’il avait interrompu :
« Je faisais, dit-il, des tartes à la crème ; il faut, s’il vous plaît, que vous en mangiez ; je suis persuadé que vous les trouverez excellentes : car ma mère qui les fait admirablement bien, m’a appris à les faire, et l’on vient en prendre chez moi de tous les endroits de cette ville. »
En achevant ces mots, il tira du four une tarte à la crème ; et après avoir mis dessus des grains de grenade et du sucre, il la servit devant Agib, qui la trouva délicieuse. L’eunuque, à qui Bedreddin en présenta aussi, en porta le même jugement.
« Pendant qu’ils mangeaient tous deux, Bedreddin Hassan examinait Agib avec une grande attention ; et se représentant en le regardant qu’il avait peut-être un semblable fils de la charmante épouse dont il avait été sitôt et si cruellement séparé, cette pensée fit couler de ses yeux quelques larmes. Il se préparait à faire des questions au petit Agib sur le sujet de son voyage à Damas ; mais cet enfant n’eut pas le temps de satisfaire sa curiosité, parce que l’eunuque qui le pressait de s’en retourner sous les tentes de son aïeul, l’emmena dès qu’il eut mangé. Bedreddin Hassan ne se contenta pas de les suivre de l’œil, il ferma sa boutique promptement, et marcha sur leurs pas…
Scheherazade, en cet endroit, remarquant qu’il était jour, cessa de poursuivre cette histoire. Schahriar se leva, résolu de l’entendre toute entière, et de laisser vivre la sultane jusqu’à ce temps-là.

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