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Histoire de Noureddin Ali, et de Bedreddin Hassan

 La cent et neuvième nuit

SIRE, le grand visir Giafar continuant de parler au calife :
« Au bout de quelques jours, dit-il, la fille du visir Schemseddin Mohammed s’aperçut qu’elle était grosse ; et en effet, elle accoucha d’un fils dans le terme de neuf mois. On donna une nourrice à l’enfant, avec d’autres femmes et des esclaves pour le servir, et son aïeul le nomma Agib [4].
« Lorsque ce jeune Agib eut atteint l’âge de sept ans, le visir Schemseddin Mohammed, au lieu de lui faire apprendre à lire au logis, l’envoya à l’école chez un maître qui avait une grande réputation, et deux esclaves avoient soin de le conduire et de le ramener tous les jours. Agib jouait avec ses camarades. Comme ils étaient tous d’une condition au-dessous de la sienne, ils avoient beaucoup de déférence pour lui ; et en cela, ils se réglaient sur le maître d’école qui lui passait bien des choses qu’il ne leur pardonnait pas à eux. La complaisance aveugle qu’on avait pour Agib, le perdit : il devint fier, insolent ; il vouloit que ses compagnons souffrissent tout de lui, sans vouloir rien souffrir d’eux. Il dominait partout ; et si quelqu’un avait la hardiesse de s’opposer à ses volontés, il lui disait mille injures, et allait souvent jusqu’aux coups. Enfin, il se rendit insupportable à tous les écoliers, qui se plaignirent de lui au maître d’école. Il les exhorta d’abord à prendre patience ; mais quand il vit qu’ils ne faisaient qu’irriter par-là l’insolence d’Agib, et fatigué lui-même des peines qu’il lui faisait : « Mes enfants, dit-il à ses écoliers, je vois bien qu’Agib est un petit insolent ; je veux vous enseigner un moyen de le mortifier de manière qu’il ne vous tourmentera plus ; je crois même qu’il ne reviendra plus à l’école. Demain, lorsqu’il sera venu et que vous voudrez jouer ensemble, rangez-vous autour de lui, et que quelqu’un dise tout haut :
« Nous voulons jouer, mais c’est à condition que ceux qui joueront, diront leur nom, celui de leur mère et de leur père. Nous regarderons comme des bâtards ceux qui refuseront de le faire, et nous ne souffrirons pas qu’ils jouent avec nous. »
« Le maitre d’école leur fit comprendre l’embarras où ils jetteraient Agib par ce moyen, et ils se retirèrent chez eux pleins de joie.
« Le lendemain, dès qu’ils furent tous assemblés, ils ne manquèrent pas de faire ce que leur maître leur avait enseigné ; ils environnèrent Agib, et l’un d’entr’eux prenant la parole : « Jouons, dit-il, à un jeu ; mais à condition que celui qui ne pourra pas dire son nom, le nom de sa mère et de son père, n’y jouera pas. » Ils répondirent tous, et Agib lui- même, qu’ils y consentaient. Alors celui qui avait parlé, les interrogea l’un après l’autre, et ils satisfirent tous à la condition, excepté Agib, qui répondit : « Je me nomme Agib, ma mère s’appelle Dame de beauté, et mon père Schemseddin Mohammed, visir du sultan. »
« À ces mots, tous les enfants s’écrièrent : « Agib, que dites-vous ? Ce n’est point là le nom de votre père : c’est celui de votre grand-père. » « Que Dieu vous confonde, répliqua-t-il, en colère ! Quoi, vous osez dire que le visir Schemseddin Mohammed n’est pas mon père ! » Les écoliers lui repartirent avec de grands éclats de rire : « Non, non ; il n’est que votre aïeul, et vous ne jouerez pas avec nous ; nous nous garderons bien même de nous approcher de vous. » En disant cela, ils s’éloignèrent de lui en le raillant, et ils continuèrent de rire entr’eux. Agib fut mortifié de leurs railleries, et se mit à pleurer.
 » Le maître d’école qui était aux écoutes, et qui avait tout entendu, entra sur ces entrefaites, et s’adressant à Agib : « Agib, lui dit-il, ne savez-vous pas encore que le visir Schemseddin Mohammed n’est pas votre père ? Il est votre aïeul, père de votre mère Dame de beauté. Nous ignorons, comme vous, le nom de votre père ; nous savons seulement que le sultan avait voulu marier votre mère avec un de ses palefreniers qui était bossu, mais qu’un génie coucha avec elle. Cela est fâcheux pour vous, et doit vous apprendre à traiter vos camarades avec moins de fierté que vous n’avez fait jusqu’à présent… »
Scheherazade, en cet endroit, remarquant qu’il était jour, mit fin à son discours. Elle en reprit le fil la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :

Notes

[4Ce mot signifie, en Arabe, merveilleux.

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