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Nouvelles Aventures du calife Haroun Alraschild, ou Histoire de la petite fille de Chosroès Anouschirvan

Le calife passa sur la terrasse en marchant doucement, et sans faire de bruit, de peur d’effrayer davantage les dames, et s’avança jusqu’à une ouverture qui donnait dans l’intérieur de leur appartement. Il regarde, s’étonne de la magnificence qui règne partout, et croit voir un paradis. L’éclat des dorures et des peintures était encore relevé par celui des lustres et des girandoles ; et la jeune personne, assise sur un trône, revêtue d’habits superbes, et couverte de bijoux, ressemblait au soleil qui brille au milieu d’un ciel pur, ou à la lune dans son plein.
Tandis que le calife émerveillé de la beauté de sa nouvelle épouse la considérait avec complaisance, la vieille parlait ainsi à sa fille : « Qu’allons-nous devenir, et comment nous débarrasser de ces méchants ? Nous sommes des femmes, et nous n’avons que Dieu pour appui. Quel malheureux destin nous a envoyé ce voleur ! Ah, si votre père vivait… Mais telle est la volonté de Dieu. »
« Ma mère, lui répondit la jeune personne, vous avez beau vous plaindre et m’humilier en traitant ce jeune homme de voleur, puisque Dieu me le donne pour époux, je dois le recevoir de ses mains, et me conformer à ses décrets. » « Dieu veuille, reprit alors la vieille, touchée des sentiments de sa fille, qu’il ne vienne pas cette nuit ; car on le saisirait, et on lui ferait un mauvais parti à ce pauvre jeune homme ! »
Le calife ayant entendu cette conversation, ramassa par terre une petite pierre de la grosseur d’un pois, la lança adroitement sur la bougie qui était devant la jeune personne, et l’éteignit. « Qu’est-ce donc qui fait éteindre cette bougie, tandis que les autres brûlent si bien, dit la vieille en la rallumant ? » Comme elle finissait ces mots, le calife lance une seconde pierre, et éteint la bougie qui avait servi à rallumer la première. « Encore une bougie qui s’éteint, dit la vieille, cela est étonnant. » Peu après, une troisième pierre éteint une troisième bougie. « Pour le coup, dit la vieille, il faut que quelque esprit aérien s’amuse à éteindre ici les bougies. » Comme elle allait la rallumer, une petite pierre lui tombe sur la main. Elle regarde alors du côté de l’ouverture qui était au plancher, et aperçoit son gendre.
« Voyez par où vient votre époux, dit-elle à sa fille. Il a pris le chemin que prennent ses pareils : c’est toujours par les toits que viennent les voleurs. Un autre serait entré par la porte. Mais Dieu soit loué de ce qu’il est venu par-dessus les toits, sans cela il aurait été pris ! » Puis s’adressant à son gendre : « Va-t-en bien vite, lui dit-elle, par où tu es venu, si tu ne veux être pris par les scélérats qui assiègent notre maison. Nous ne sommes que des femmes, et nous ne pouvons te sauver. »
« Ouvrez-moi toujours la porte de la terrasse, dit le calife en riant, afin que je me rende près de vous, et que je voie ce que je dois faire à ces marauds. » « Malheureux, lui dit la vieille, crois-tu que celui qui assiège notre maison ressemble à ce pauvre cadi qui a eu si peur de toi, qu’il a coupé sa robe pour écrire sur-le-champ ton contrat ? Celui qui nous assiège est le lieutenant de police en personne. Crois-tu lui faire faire aussi ce que tu voudras ? » « Ouvrez-moi, vous dis-je, répondit le calife, ou je vais briser la porte. » La vieille monta, et ouvrit la porte de la terrasse.
Le calife étant entré, se mit à côté de son épouse, dit qu’il se sentait appétit, et demanda à se mettre à table. « Auras-tu bien le cœur de manger, dit la vieille, tandis que ces scélérats peuvent fondre sur nous à tout moment. » « Ne craignez rien, dit le calife, et apportez-nous quelque chose. » La vieille apporta les mets et les plats de dessert qu’on avait mis à part. Le calife se mit à manger et à causer tranquillement avec elles.
Quand le calife fut rassasié, et que la table fut ôtée, on entendit redoubler les cris : « Ouvrez la porte, ou nous allons l’enfoncer. » Le calife tira alors son anneau, le remit à la vieille, et lui dit : « Portez cela au lieutenant de police, et dites-lui que le maître de cet anneau est chez vous. Si le lieutenant de police vous demande ce que désire le maître de cet anneau, vous lui direz que je voudrais qu’il entrât avec ses quatre principaux officiers, et qu’il fît apporter une échelle de quatre échelons, une corde et un faisceau de baguettes [19]. »
La vielle, peu contente de la commission, répondit : « Le lieutenant de police aura donc aussi peur de vous ou de cet anneau ? Je crains, moi, qu’il ne serve de rien ; que ces gens-là ne m’écoutent pas, ne se jettent sur moi, et ne m’assomment. »
« Ne craignez rien, dit le calife, le lieutenant de police ne peut me résister. » « Si vous avez aussi le secret de vous faire craindre du lieutenant de police, et de lui faire exécuter vos volontés, dit la vieille, je veux absolument prendre de vos leçons, et je ne vous laisserai pas que vous ne ni ayez appris un tour de votre métier, ne serait-ce qu’à voler les femmes. »
Le calife se mit à rire, et donna son anneau à la vieille. Elle le prit, alla jusqu’à la porte, et dit en elle-même : « Je ne ferai qu’entrouvrir la porte pour leur donner l’anneau, et s’ils n’écoutent pas ce que j’ai à leur dire de la part du voleur, je refermerai la porte comme elle était. Que voulez-vous donc, dit-elle en criant bien fort ? » « Infâme vieille, abominable sorcière, répondit Schamama, nous voulons saisir le voleur qui est chez toi, lui couper une main et un pied, et tu verras de quelle manière nous te traiterons ensuite. »
La vieille, un peu effrayée, leur demanda si quelqu’un d’eux savait lire ? « Oui, dit le lieutenant de police en s’avançant. » « Voici un cachet, lui dit la vieille : voyez ce qui est écrit dessus, et quel est le nom de celui à qui il appartient. » « Que le diable emporte le cachet et celui à qui il appartient, dit Schamama ! » Puis s’adressant au lieutenant de police : « Aussitôt que la vieille paraîtra, lui dit-il, frappez-la, jetez-la par terre, et faites-nous entrer dans la maison : nous la pillerons, nous prendrons le voleur, et ensuite vous verrez de qui est le cachet ; et s’il appartient à quelqu’un à qui nous devons du respect, nous dirons que nous ne l’avons vu que lorsque le mal était fait : personne ne pourra soutenir le contraire. »
En disant cela, Schamama s’approcha de la porte, et dit à la vieille : « Donne-moi cet anneau, et voyons s’il pourra te sauver. » La vieille entr’ouvrit la porte seulement pour passer la main, et lui tendit la bague. Il la prit, et la donna au lieutenant de police. Celui-ci reconnaissant l’anneau du calife Haroun Alraschid, changea de couleur, et trembla de tout son corps. « Qu’as-tu donc, lui dit Schamama ? » Le lieutenant de police, pour toute réponse, lui présenta l’anneau. Il le prit, s’approcha d’un flambleau, et ne put s’empêcher, malgré ses emportements, de reconnaître l’anneau du calife. Aussitôt il tombe à la renverse en criant : « Au secours, au secours ! »
« Malheureux, lui dit le lieutenant de police, la vengeance divine va bientôt éclater contre toi ! Tout ceci est l’effet de tes infâmes procédés et de ta cupidité. Prépare-toi à répondre à nos accusateurs, et à te tirer, si tu peux, de ce mauvais pas. »
Schamama revenant à lui, dit à la vieille avec respect : « Que desirez-vous, madame ? » Celle-ci s’aperçut aussitôt qu’on avait peur de son gendre, et en fut enchantée. « Celui à qui appartient le cachet, dit-elle, demande une échelle de quatre échelons, une corde, un faisceau de baguettes, et le sac qui renferme les autres choses nécessaires pour la punition des coupables. Il demande aussi à voir le lieutenant de police et ses quatre principaux officiers. » « Ou est, illustre dame, reprit Schamama, celui à qui appartient l’anneau ? » « Il est dans cette maison, dit la vieille. »
Le lieutenant de police s’approchant de la vieille, lui demanda à son tour où était celui à qui appartenait l’anneau et ce qu’il désirait ? La vieille lui répéta ce qu’elle venait de dire à Schamama. « Nous sommes prêts à exécuter les ordres de celui à qui appartient cet anneau, et nous avons avec nous tous les instruments nécessaires pour punir les coupables, dit le lieutenant de police en balbutiant, et tremblant comme ceux de sa suite. »
La vieille entra, et dit à son gendre en riant : « Il n’y a pas dans le monde un chef de voleurs pareil à vous. Vous faites peur au cadi, vous faites peur au lieutenant de police, vous faites peur à tout le monde. Je veux entrer à votre service, et voler les femmes tandis que vous volerez les hommes. Vous me ferez part de vos secrets, et je pourrai réussir ; car tel maître, tel valet, tel père, tel fils, dit le proverbe. Cependant, si dès que ces gens-là sont venus, ils eussent brisé la porte et fussent tombés sur nous, tandis que vous n’étiez pas encore ici, que serions-nous devenues ? Mais, grâce à Dieu, vous êtes venu à temps. »
Le calife se mit à rire ; et sa jeune épouse, assise à ses côtés, se réjouissait de leur délivrance, lorsque le lieutenant de police entra, accompagné de ses quatre principaux officiers, parmi lesquels étaient Schamama et Hassan. Le calife fit avancer ce dernier, et lui dit d’appeler l’émir Iounis, commandant de mille hommes. Celui-ci parut sur-le-champ. Le calife lui ordonna de châtier le lieutenant de police et Schamama.

Notes

[19Ces divers objets devaient servir à donner la bastonnade au lieutenant de police et à Schamama, comme on le verra plus bas.

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