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Le conte précédent : Préface du traducteur de la continuation des Mille et une Nuits


Nouvelles Aventures du calife Haroun Alraschild, ou Histoire de la petite fille de Chosroès Anouschirvan

On fit mettre, selon l’usage observé dans les exécutions, Alaeddin et la princesse sur le tapis de cuir appelé le tapis de sang ; on déchira le bord de leurs habits, et on leur banda les veux. L’exécuteur tourna autour d’eux, en disant : « Le Commandeur des croyants ordonne-t-il que je frappe ? » « Frappe, dit le calife. » L’exécuteur tourna une seconde fois, en prononçant la même formule, à laquelle le calife répondit par le même mot. Enfin l’exécuteur en tournant pour la troisième et dernière fois, dit à Alaeddin : « Avez-vous quelque chose à me recommander avant que le calife ait prononcé pour la troisième fois votre arrêt ; car, dès qu’il l’aura prononcé, votre tête tombera aussitôt par terre ? »
« Je voudrais, dit Alaeddin, que vous ôtassiez ce bandeau de dessus mes yeux, afin de voir encore une fois mes amis : vous ferez ensuite ce que vous voudrez. » Lorsque le bandeau fut ôté, Alaeddin regarda autour de lui, et ne vit que des visages consternés. Tous les yeux étaient baissés par respect pour le calife, et personne n’eût osé dire un mot. Au milieu de ce silence, le malheureux Alaeddin éleva la voix, et dit au calife :

« Commandeur des croyants, j’ai quelque chose d’important à vous révéler. » « Qu’est-ce que c’est, dit le calife ? » « Différez, dit Alaeddin, notre supplice de trois jours, vous verrez les choses du monde les plus extraordinaires. » « J’y consens, dit le calife ; mais si dans trois jours je ne vois pas ces choses extraordinaires, rien ne pourra vous soustraire à la mort. » En même-temps il ordonna qu’on les conduisit en prison.
On fit mettre, selon l’usage observé dans les exécutions, Alaeddin et la princesse sur le tapis de cuir appelé le tapis de sang ; on déchira le bord de leurs habits, et on leur banda les veux. L’exécuteur tourna autour d’eux, en disant : « Le Commandeur des croyants ordonne-t-il que je frappe ? » « Frappe, dit le calife. » L’exécuteur tourna une seconde fois, en prononçant la même formule, à laquelle le calife répondit par le même mot. Enfin l’exécuteur en tournant pour la troisième et dernière fois, dit à Alaeddin : « Avez-vous quelque chose à me recommander avant que le calife ait prononcé pour la troisième fois votre arrêt ; car, dès qu’il l’aura prononcé, votre tête tombera aussitôt par terre ? »
« Je voudrais, dit Alaeddin, que vous ôtassiez ce bandeau de dessus mes yeux, afin de voir encore une fois mes amis : vous ferez ensuite ce que vous voudrez. » Lorsque le bandeau fut ôté, Alaeddin regarda autour de lui, et ne vit que des visages consternés. Tous les yeux étaient baissés par respect pour le calife, et personne n’eût osé dire un mot. Au milieu de ce silence, le malheureux Alaeddin éleva la voix, et dit au calife :
« Commandeur des croyants, j’ai quelque chose d’important à vous révéler. » « Qu’est-ce que c’est, dit le calife ? » « Différez, dit Alaeddin, notre supplice de trois jours, vous verrez les choses du monde les plus extraordinaires. » « J’y consens, dit le calife ; mais si dans trois jours je ne vois pas ces choses extraordinaires, rien ne pourra vous soustraire à la mort. » En même-temps il ordonna qu’on les conduisit en prison.
Le troisième jour, le calife impatient, résolut d’aller lui-même au-devant des aventures qu’il attendait. II choisit un déguisement bizarre, s’affubla d’un habit grossier, entoura sa tête d’un mouchoir épais, prit en main une arquebuse [12], mit une giberne sur son dos, et remplit ses poches d’or et d’argent. Dans cet équipage, il sort du palais, et commence à parcourir les rues de Bagdad, espérant voir bientôt les merveilles que lui avait annoncé le Hageb.
Sur les dix heures du matin, il vit à l’entrée d’un bazar un homme qui disait tout haut : « Jamais je n’ai rien vu de si étonnant ! » Le calife lui demanda ce qu’il avait vu de si étonnant. « Il y a, dit cet homme, dans ce bazar, une femme qui, depuis le point du jour, récite le Coran avec tant de justesse et de clarté, qu’il semble entendre l’ange Gabriel révélant lui-même à Mahomet ses divins préceptes. Malgré cela personne n’a encore donné la moindre chose à cette pauvre femme : vous conviendrez que rien n’est plus étonnant. » Le calife ayant entendu cela, entra dans le bazar, et vit une vieille femme qui récitait le Coran, et en était déjà aux derniers chapitres. Il fut ravi de la manière dont elle le récitait, et s’arrêta pour l’écouter jusqu’à ce qu’elle eût fini.
Le calife voyant alors que personne ne lui donnait rien, mit la main dans sa bourse avec le dessein de lui donner tout ce qu’elle renfermait encore. Mais la vieille s’étant levée tout-à-coup, entra dans la boutique d’un marchand, et s’assit à côté de lui. Le calife s’approcha, prêta l’oreille, et entendit ces mots : « Voulez-vous une jolie personne ? » « Volontiers. » « Eh bien, venez avec moi, vous verrez une beauté telle que vous n’en avez jamais vu ! »
« Quoi donc, dit le calife en lui-même, cette vieille femme, que je prenais pour une femme de bien, ferait-elle le plus infâme des métiers ! Je ne veux lui rien donner que je ne sache ce que ceci va devenir. » Dans ce dessein, il les suivit de très-près. La vieille entra dans sa maison avec le jeune homme. Le calife se glissa derrière eux et se cacha dans un endroit d’où il pouvait tout voir sans être aperçu. La vieille appela sa fille, qui sortit aussitôt d’un cabinet.
Le calife fut étonné de voir une beauté à laquelle aucune de ses femmes ne pouvait être comparée. Sa taille était noble et bien proportionnée ; ses yeux noirs, languissants, étaient empreints d’un collyre magique plus puissant que tout l’art des Babyloniens [13] ; ses sourcils ressemblaient à des arcs d’où partaient des flèches mortelles ; son nez à la pointe d’une épée ; sa bouche au sceau de Salomon ; ses lèvres à deux cornalines rouges ; ses dents à un double rang de perles ; sa salive était plus douce que le miel, plus fraîche que l’eau la plus pure : son sein s’élevait sur sa poitrine comme deux grenades, et sa peau paraissait douce comme la soie [14] : enfin, elle ressemblait à cette belle qu’un poète met au-dessus du soleil et de la lune.
Cette jeune personne n’eut pas plutôt vu le jeune homme qui était auprès de sa mère , qu’elle rentra précipitamment dans le cabinet, en reprochant à sa mère de l’avoir exposée à la vue d’un inconnu. Celle-ci s’excusa, en lui disant que son intention était de la marier ; qu’un homme pouvait voir une fois celle qu’il voulait épouser ; que si le mariage n’avait pas lieu, on ne se revoyait plus, et qu’il n’y avait aucun mal à cela.
Le calife fut satisfait de voir que la vieille femme n’avait que des intentions honnêtes. « Vous avez vu ma fille, dit-elle ensuite au marchand : vous plaît-elle ? » « Beaucoup, répondit-il. Quelle est la dot et le douaire que vous demandez ? » « Quatre mille pièces d’or pour la dot, dit-elle, et autant pour le douaire. » « Cela est beaucoup, dit le marchand. Tout mon avoir ne se monte qu’à quatre mille pièces d’or : si je donne tout, il ne me restera rien. Acceptez mille pièces d’or. J’en dépenserai mille autres pour meubler la maison, et faire le trousseau de ma femme, et je ferai valoir le reste dans le commerce. »

Notes

[12Les mots du texte cous al bondoc désignent un arc ou instrument propre à lancer des balles. Le mot arquebuse, arcobugio en italien, est pareillement dérivé du mot arc. Les mots kis al bondoc, que j’ai rendus par giberne, indiquent proprement un sac où se mettent les balles.

[13La ville de Babylone, ou Babel, est renommée parmi les Mahométans pour ses prestiges et ses enchantemens. Cette opinion est fondée sur un passage du Coran, dans lequel il est dit que deux anges prévaricateurs, Harout et Marout, enseignaient la magie à Babylone. (Coran, chapitre II, ou de la Vache, verset 112, édition de Maracci.)

[14La plus grande partie de cette description, traduite ici littéralement, est citée par le savant M. Jones dans ses Commentaires sur la poésie asiatique, page. 177.

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