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Histoire racontée par le pourvoyeur du sultan de Casgar

 La cent quarant sixième nuit

« LORSQUE la favorite de Zobéide, poursuivit le marchand de Bagdad, vit que le calife voulait absolument qu’elle ouvrît le coffre où j’étais : « Pour celui-ci, dit-elle, votre Majesté me fera, s’il lui plait, la grâce de me dispenser de lui faire voir ce qu’il y a dedans : ce sont des choses que je ne lui puis montrer qu’en présence de son épouse. » « Voilà qui est bien, dit le calife, je suis content, faites emporter vos coffres. » Elle les fit enlever aussitôt et porter dans sa chambre, où je commençai à respirer.
« Dès que les eunuques qui les avoient apportés se furent retirés, elle ouvrît promptement celui où j’étais prisonnier. « Sortez, me dit-elle, en me montrant la porte d’un escalier qui conduisait à une chambre au-dessus : montez, et allez m’attendre. » Elle n’eut pas fermé la porte sur moi, que le calife entra, et s’assit sur le coffre d’où je venais de sortir. Le motif de cette visite était un mouvement de curiosité qui ne me regardait pas. Ce prince voulait faire des questions sur ce qu’elle avait vu ou entendu dans la ville. Ils s’entretinrent tous deux assez longtemps ; après quoi il la quitta enfin, et se retira dans son appartement.
« Lorsqu’elle se vit libre, elle me vint trouver dans la chambre où j’étais monté, et me fit bien des excuses de toutes les alarmes qu’elle m’avait causées. « Ma peine, me dit-elle, n’a pas été moins grande que la vôtre ; vous n’en devez pas douter, puisque j’ai souffert pour l’amour de vous et pour moi qui courais le même péril. Une autre à ma place n’aurait peut-être pas eu le courage de se tirer si bien d’une occasion si délicate. Il ne fallait pas moins de hardiesse ni de présence d’esprit ; ou plutôt il fallait avoir tout l’amour que j’ai pour vous, pour sortir de cet embarras ; mais rassurez-vous, il n’y a plus rien à craindre. » Après nous être entretenus quelque temps avec beaucoup de tendresse : « Il est temps, me dit-elle, de vous reposer : couchez-vous. Je ne manquerai pas de vous présenter demain à Zobéide ma maîtresse, à quelque heure du jour ; et c’est une chose facile, car le calife ne la voit que la nuit. » Rassuré par ces discours, je dormis assez tranquillement ; ou si mon sommeil fut quelquefois interrompu par des inquiétudes, ce furent des inquiétudes agréables, causées par l’espérance de posséder une dame qui avait tant d’esprit et de beauté.
 » Le lendemain, la favorite de Zobéide, avant que de me faire paraître devant sa maîtresse, m’instruisit de la manière dont je devais soutenir sa présence, me dit à-peu-près les questions que cette princesse me ferait, et me dicta les réponses que j’y devais faire. Après cela, elle me conduisit dans une salle où tout était d’une propreté, d’une richesse et d’une magnificence surprenante. Je n’y étais pas entré, que vingt dames esclaves, d’un âge déjà avancé, toutes vêtues d’habits riches et uniformes, sortirent du cabinet de Zobéide, et vinrent se ranger devant un trône en deux files égales, avec une grande modestie. Elles furent suivies de vingt autres dames toutes jeunes, et habillées de la même sorte que les premières, avec cette différence pourtant, que leurs habits avoient quelque chose de plus galant. Zobéide parut au milieu de celles-ci avec un air majestueux, et si chargée de pierreries et de toutes sortes de joyaux, qu’à peine pouvait-elle marcher. Elle alla s’asseoir sur le trône. J’oubliais de vous dire que sa dame favorite l’accompagnait, et qu’elle demeura debout à sa droite, pendant que les dames esclaves, un peu plus éloignées, étaient en foule des deux côtés du trône.
 » D’abord que la femme du calife fut assise, les esclaves qui étaient entrées les premières, me firent signe d’approcher. Je m’avançai au milieu des deux rangs qu’elles formaient, et me prosternai la tête contre le tapis qui était sous les pieds de la princesse. Elle m’ordonna de me relever, et me fit l’honneur de s’informer de mon nom, de ma famille et de l’état de ma fortune, à quoi je satisfis assez à son gré. Je m’en aperçus non-seulement à son air, elle me le fit même connaitre par les choses qu’elle eut la bonté de me dire. « J’ai bien de la joie, me dit elle, que ma fille (c’est ainsi qu’elle appelait sa dame favorite), car je la regarde comme telle, après le soin que j’ai pris de son éducation, ait fait un choix dont je suis contente ; je l’approuve et je consens que vous vous mariez tous deux. J’ordonnerai moi-même les apprêts de vos noces, mais auparavant, j’ai besoin de ma fille pour dix jours ; pendant ce temps-là, je parlerai au calife et obtiendrai son consentement, et vous demeurerez ici : on aura soin de vous… »
En achevant ces paroles, Scheherazade aperçut le jour et cessa de parler. Le lendemain, elle reprit la parole de cette manière :