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Histoire racontée par le pourvoyeur du sultan de Casgar

 La cent quarant deuxième nuit

LA sultane ayant été réveillée par sa sœur Dinarzade, adressa la parole an sultan : « Sire, dit-elle, le marchand continua de cette sorte le récit qu’il avait commencé : »
« La dame s’assit dans ma boutique, et remarquant qu’il n’y avait personne que l’eunuque et moi dans tout le bezestein, elle se découvrit le visage pour prendre l’air. Je n’ai jamais rien vu de si beau : la voir et l’aimer passionnément, ce fut la même chose pour moi ; j’eus toujours les yeux attachés sur elle. Il me parut que mon attention ne lui était pas désagréable, car elle me donna tout le temps de la regarder à mon aise ; et elle ne se couvrit le visage que lorsque la crainte d’être aperçue, l’y obligea.
« Après qu’elle se fut remise dans le même état qu’auparavant, elle me dit qu’elle cherchait plusieurs sortes d’étoffes des plus belles et des plus riches qu’elle me nomma, et elle me demanda si j’en avois. « Hélas, madame, lui répondis-je, je suis un jeune marchand qui ne fais que commencer à m’établir : je ne suis pas encore assez riche pour faire un si grand négoce, et c’est une mortification pour moi de n’avoir rien à vous présenter de ce qui vous a fait venir au bezestein ; mais pour vous épargner la peine d’aller de boutique en boutique, d’abord que les marchands seront venus, j’irai, si vous le trouvez bon, prendre chez eux tout ce que vous souhaitez ; ils m’en diront le prix au juste ; et sans aller plus loin, vous ferez ici vos emplettes. » Elle y consentit, et j’eus avec elle un entretien qui dura d’autant plus longtemps, que je lui faisais accroire que les marchands qui avoient les étoffes qu’elle demandait, n’étaient pas encore arrivés.
« Je ne fus pas moins charmé de son esprit que je l’avois été de la beauté de son visage ; mais il fallut enfin me priver du plaisir de sa conversation ; je courus chercher les étoffes qu’elle désirait ; et quand elle eut choisi celles qui lui plurent, nous en arrêtâmes le prix à cinq mille dragmes d’argent monnayé. J’en fis un paquet que je donnai à l’eunuque, qui le mit sous son bras. Elle se leva ensuite, et partit après avoir pris congé de moi ; je la conduisis des yeux jusqu’à la porte du bezestein, et je ne cessai de la regarder qu’elle ne fut remontée sur sa mule.
« La dame n’eut pas plutôt disparu, que je m’aperçus que l’amour m’avait fait faire une grande faute. Il m’avait tellement troublé l’esprit, que je n’avois pas pris garde qu’elle s’en allait sans payer, et que je ne lui avois pas seulement demandé qui elle était, ni où elle demeurait. Je fis réflexion pourtant que j’étais redevable d’une somme considérable à plusieurs marchands, qui n’auraient peut-être pas la patience d’attendre. J’allai m’excuser auprès d’eux le mieux qu’il me fut possible, en leur disant que je connaissais la dame. Enfin je revins chez moi aussi amoureux qu’embarrassé d’une si grosse dette…
Scheherazade, en cet endroit, vit paraître le jour, et cessa de parler. La nuit suivante, elle continua de cette manière :