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Histoire que raconta le marchand chrétien

 La cent trente quatrième nuit

SIRE, le jeune homme de Bagdad racontant ses aventures au marchand chrétien : » Il n’y avait pas longtemps, dit-il, que j’étais arrivé à la boutique de Bedreddin, lorsque je vis venir la dame, suivie de son esclave, et plus magnifiquement vêtue que le jour d’auparavant. Elle ne regarda pas le marchand ; et s’adressant à moi seul : « Seigneur, me dit-elle, vous voyez que je suis exacte à tenir la parole que je vous donnai hier. Je viens exprès pour vous apporter la somme dont vous voulûtes bien répondre pour moi sans me connaître, par une générosité que je n’oublierai jamais. » « Madame, lui répondis-je, il n’était pas besoin de vous presser si fort : j’étais sans inquiétude sur mon argent, et je suis fâché de la peine que vous avez prise. » « Il n’était pas juste, reprit-elle, que j’abusasse de votre honnêteté. » En disant cela, elle me mit l’argent entre les mains, et s’assit près de moi.
Alors profitant de l’occasion que j’avais de l’entretenir, je lui parlai de l’amour que je sentais pour elle ; mais elle se leva et me quitta brusquement, comme si elle eût été fort offensée de la déclaration que je venais de lui faire. Je la suivis des jeux tant que je la pus voir ; et dès que je ne la vis plus, je pris congé du marchand, et je sortis du bezestein sans savoir où j’allais. Je revois à cette aventure, lorsque je sentis qu’on me tirait par derrière. Je me tournai aussitôt pour voir ce que ce pouvait être, et je reconnus avec plaisir l’esclave de la dame dont j’avais l’esprit occupé. « Ma maîtresse, me dit-elle, qui est cette jeune personne à qui vous venez de parler dans la boutique d’un marchand, voudrait bien vous dire un mot ; prenez, s’il vous plaît, la peine de me suivre. » Je la suivis ; et je trouvai en effet sa maîtresse qui m’attendait dans la boutique d’un changeur où elle était assise.
« Elle me fit asseoir auprès d’elle, et prenant la parole : « Mon cher Seigneur, me dit-elle, ne soyez pas surpris que je vous aie quitté un peu brusquement ; je n’ai pas jugé à propos devant ce marchand, de répondre favorablement à l’aveu que vous m’avez fait des sentiments que je vous ai inspirés. Mais bien loin de m’en offenser, je confesse que je prenais plaisir à vous entendre, et je m’estime infiniment heureuse d’avoir pour amant un homme de votre mérite. Je ne sais quelle impression ma vue a pu faire d’abord sur vous ; mais pour moi, je puis vous assurer qu’en vous voyant, je me suis senti de l’inclination pour vous. Depuis hier, je n’ai fait que penser aux choses que vous me dîtes, et mon empressement à vous venir chercher si matin, doit bien vous prouver que vous ne me déplaisez pas. » « Madame, repris-je, transporté d’amour et de joie, je ne pouvais rien entendre de plus agréable que ce que vous avez la bonté de me dire. On ne saurait aimer avec plus de passion que je vous aime depuis l’heureux moment que vous parûtes à mes yeux ; ils furent éblouis de tant de charmes, et mon cœur se rendit sans résistance. » « Ne perdons pas le temps en discours inutiles, interrompit-elle : je ne doute pas de votre sincérité, et vous serez bientôt persuadé de la mienne. Voulez-vous me faire l’honneur de venir chez moi, ou si vous souhaitez que j’aille chez vous ? » « Madame, lui répondis-je, je suis un étranger logé dans un khan, qui n’est pas un lieu propre à recevoir une dame de votre rang et de votre mérite. »
Scheherazade allait poursuivre, mais elle fut obligée d’interrompre son discours, parce que le jour paraissait. Le lendemain, elle continua de cette sorte, en faisant toujours parler le jeune homme de Bagdad :

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