Accueil du site > Les mille et une nuits > Tome II > Histoire que raconta le marchand chrétien

Le conte précédent : Histoire du petit bossu


Histoire que raconta le marchand chrétien

  La cent trente troisième nuit

LE marchand chrétien poursuivant son histoire : « Quand je vis, me dit le jeune homme, que la dame se retirait, je sentis bien que mon cœur s’intéressait pour elle ; je la rappelai : « Madame, lui dis-je, faites-moi la grace de revenir ; peut-être trouverai-je moyen de vous contenter l’un et l’autre. » Elle revint, en me disant que c’était pour l’amour de moi. « Seigneur Bedreddin, dis-je alors au marchand, combien dites-vous que vous voulez vendre cette étoffe qui m’appartient ? » « Onze cents dragmes d’argent, répondit-il ; je ne puis la donner à moins. » « Livrez-la donc à cette dame, repris-je, et qu’elle l’emporte. Je vous donne cent dragmes de profit, et je vais vous faire un billet de la somme à prendre sur les autres marchandises que vous avez. » Effectivement je fis le billet, le signai, et le mis entre les mains de Bedreddin. Ensuite présentant l’étoffe à la dame, je lui dis : « Vous pouvez l’emporter, madame ; et quant à l’argent, vous me l’enverrez demain ou un autre jour, ou bien je vous fais présent de l’étoffe, si vous voulez. » « Ce n’est pas comme je l’entends, reprit-elle. Vous en usez avec moi d’une manière si honnête et si obligeante, que je serais indigne de paraître devant les hommes si je ne vous en témoignais pas de la reconnaissance. Que Dieu, pour vous en récompenser, augmente vos biens, vous fasse vivre longtemps après moi, vous ouvre la porte des cieux à votre mort, et que toute la ville publie votre générosité ! »
« Ces paroles me donnèrent de la hardiesse. « Madame, lui dis-je, laissez-moi voir votre visage pour prix de vous avoir fait plaisir : ce sera me payer avec usure. » À ces mots, elle se tourna de mon côté, ôta la mousseline qui lui couvrait le visage, et offrit à mes yeux une beauté surprenante. J’en fus tellement frappé, que je ne pus lui rien dire pour lui exprimer ce que j’en pensais. Je ne me serais jamais lassé de la regarder ; mais elle se recouvrit promptement le visage, de peur qu’on ne l’aperçût ; et après avoir abaissé le crépon, elle prit la pièce d’étoffe, et s’éloigna de la boutique, où elle me laissa dans un état bien différent de celui où j’étais en y arrivant. Je demeurai longtemps dans un trouble et dans un désordre étrange. Avant de quitter le marchand, je lui demandai s’il connaissait la Dame ? « Oui, me répondit-il, elle est fille d’un émir qui lui a laissé en mourant des biens immenses. »
« Quand je fus de retour au khan de Mesrour, mes gens me servirent à souper ; mais il me fut impossible de manger. Je ne pus même fermer l’œil de toute la nuit, qui me parut la plus longue de ma vie. Dès qu’il fut jour, je me levai dans l’espérance de revoir l’objet qui troublait mon repos ; et dans le dessein de lui plaire, je m’habillai plus proprement encore que le jour précédent. Je retournai à la boutique de Bedreddin…
« Mais Sire, dit Scheherazade, le jour que je vois paraître, m’empêche de continuer mon récit. » Après avoir dit ces paroles, elle se tut ; et la nuit suivante, elle reprit sa narration dans ces termes :

Le conte suivant : Histoire racontée par le pourvoyeur du sultan de Casgar