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Le conte précédent : Histoire du prince Ahmed, et de la fée Pari-Banou


Histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette

D’abord la princesse posa la CAGE dans le jardin dont nous avons parlé ; et comme le salon était du côté du jardin, dès que l’OISEAU eut fait entendre son chant, les rossignols, les pinçons, les alouettes, les fauvettes, les chardonnerets, et une infinité d’autres oiseaux du pays, vinrent l’accompagner de leur ramage. Pour ce qui est de la BRANCHE, elle la fit planter en sa présence dans un endroit du parterre, peu éloigné de la maison. Elle prit racine, et en peu de temps elle devint un grand arbre, dont les feuilles rendirent bientôt la même harmonie et le même concert que l’ARBRE d’où elle a voit été cueillie. Quant au flacon d’EAU JAUNE ; elle fît préparer au milieu du parterre un grand bassin de beau marbre ; et quand il fut achevé, elle y versa toute l’EAU JAUNE qui était contenue dans le flacon. Aussitôt elle commença à foisonner en se gonflant ; et quand elle fut venue à-peu-près jusqu’aux bords du bassin, elle s’éleva dans le milieu en grosse gerbe jusqu’à la hauteur de vingt pieds, en retombant et en continuant de même sans que l’eau débordât.
La nouvelle de ces merveilles se répandit dans le voisinage ; et comme la porte de la maison, non plus que celle du jardin, n’étaient fermées à personne, bientôt une grande affluence de peuple des environs vint les admirer.
Au bout de quelques jours, les princes Bahman et Perviz, bien remis de la fatigue de leur voyage, reprirent leur manière de vivre ; et comme la chasse était leur divertissement ordinaire, ils montèrent à cheval, et ils y allèrent pour la première fois depuis leur retour, non pas dans leur parc, mais à deux ou trois lieues de leur maison. Comme ils chassaient, le sultan de Perse survint en chassant au même endroit qu’ils avoient choisi. Dès qu’ils se furent aperçus qu’il allait arriver bientôt, par un grand nombre de cavaliers qu’ils virent paraître en plusieurs endroits, ils prirent le parti de cesser et de se retirer pour éviter sa rencontre ; mais ce fut justement par le chemin qu’ils prirent, qu’ils le rencontrèrent, dans un endroit si étroit, qu’ils ne pouvaient se détourner ni reculer sans être vus. Dans leur surprise, ils n’eurent que le temps de mettre pied à terre et de se prosterner devant le sultan, le front contre terre, sans lever la tête pour le regarder. Mais le sultan qui vit qu’ils étoient bien montés et habillés aussi proprement que s’ils eussent été de sa cour, eut la curiosité de les voir au visage ; il s’arrêta, et il leur commanda de se lever.
Les princes se levèrent, et ils demeurèrent debout devant le sultan, avec un air libre et dégagé, accompagné néanmoins d’une contenance modeste etrlespectueuse. Le sultan les considéra quelque temps depuis la tête jusqu’aux pieds, sans parler ; et après avoir admiré leur bon air et leur bonne mine, il leur demanda qui ils étaient, et où ils demeuraient ?
Le prince Bahman prit la parole :
« Sire, dit-il, nous sommes fils de l’intendant des jardins de votre Majesté, le dernier mort, et nous demeurons dans une maison qu’il fit bâtir peu de temps avant sa mort, afin que nous y demeurassions, en attendant que nous fussions en âge de servir votre Majesté, et de lui demander de l’emploi quand l’occasion se présenterait. »
« À ce que je vois, reprit le sultan, vous aimez la chasse. « 
« Sire, repartit le prince Bahman, c’est notre exercice le plus ordinaire, et celui qu’aucun des sujets de votre Majesté, qui se destine à porter les armes dans ses armées, ne néglige, en se conformant à l’ancienne coutume de ce royaume. »
Le sultan, charmé d’une réponse si sage, leur dit :
« Puisque cela est, je serai bien aise de vous voir chasser : venez , choisissez telle chasse qu’il vous plaira. »
Les princes remontèrent à cheval, suivirent le sultan ; et ils n’avoient pas avancé bien loin, quand ils virent paraître plusieurs bêtes tout à-la-fois. Le prince Bahman choisit un lion, et le prince Perviz un ours. Ils partirent l’un et l’autre en même temps avec une intrépidité dont le sultan fut surpris. Ils joignirent leur chasse presqu’aussitôt l’un que l’autre, et ils lancèrent leur javelot avec tant d’adresse, qu’ils percèrent, le prince Bahman le lion, et le prince Perviz l’ours d’outre en outre, et que le sultan les vit tomber en peu de temps l’un après l’autre. Sans s’arrêter, le prince Bahman poursuivit un autre ours, et le prince Perviz un autre lion, et en peu de moments ils les percèrent et les renversèrent sans vie. Ils voulaient continuer, mais le sultan ne le permit pas ; il les fit rappeler ; et quand ils furent venus se ranger près de lui :
« Si je vous laissais faire, dit-il, vous auriez bientôt détruit toute ma chasse. Ce n’est pas tant ma chasse néanmoins que je veux épargner que vos personnes dont la vie me sera désormais très-chère, persuadé que votre bravoure, dans un temps, me sera beaucoup plus utile qu’elle ne vient de m’être agréable. »
Le sultan Khosrouschah enfin se sentit pour les deux princes une inclination si forte, qu’il les invita à venir le voir et à le suivre sur l’heure.
« Sire, reprit le prince Bahman, votre Majesté nous fait un honneur que nous ne méritons pas, et nous la supplions de vouloir bien nous en dispenser. »
Le sultan qui ne comprenait pas quelles raisons les princes pouvaient avoir pour ne pas accepter la marque de considération qu’il leur témoignait, le leur demanda, et les pressa de l’en éclaircir.
« Sire, dit le prince Bahman, nous avons une sœur notre cadette, avec laquelle nous vivons dans une union si grande, que nous n’entreprenons ni ne faisons rien, qu’auparavant nous n’avons pris son avis ; de même que de son côté elle ne fait rien qu’elle ne nous ait demandé le nôtre. »
« Je loue fort votre union fraternelle, reprit le sultan, consultez donc votre sœur, et demain en revenant chasser avec moi, vous me rendrez réponse. »
Les deux princes retournèrent chez eux, mais ils ne se souvinrent ni l’un ni l’autre, non-seulement de l’aventure qui leur était arrivée de rencontrer le sultan, et d’avoir eu l’honneur de chasser avec lui, mais même de parler à la princesse de celui qu’il leur avait fait de vouloir les emmener avec lui. Le lendemain, comme ils se furent rendus auprès du sultan, au lieu de la chasse :
« Hé bien, leur demanda le sultan, avez-vous parlé à votre sœur ? A-t-elle bien voulu consentir au plaisir que j’attends, de vous voir plus particulièrement ? »
Les princes se regardèrent, et la rougeur leur monta au visage.
« Sire, répondit le prince Bahman, nous supplions votre Majesté de nous excuser ; ni mon frère ni moi, nous ne nous en sommes pas souvenus. »
« Souvenez-vous-en donc aujourd’hui, reprit le sultan, et demain n’oubliez pas de m’en rendre la réponse. »
Les princes tombèrent une seconde fois dans le même oubli, et le sultan ne se scandalisa pas de leur négligence ; au contraire, il tira trois petites boules d’or qu’il avoit dans une bourse. En les mettant dans le sein du prince Bahman :
« Ces boules, dit-il avec un souris, empêcheront que vous n’oubliyez une troisième fois ce que je souhaite que vous fassiez pour l’amour de moi ; le bruit qu’elles feront ce soir en tombant de votre ceinture, vous en fera souvenir, au cas que vous ne vous en soyez pas souvenu auparavant.
La chose arriva comme le sultan l’avait prévu : sans les trois boules d’or, les princes eussent encore oublié de parler à la princesse Parizade leur sœur. Elles tombèrent du sein du prince Bahman quand il eut ôté sa ceinture en se préparant à se mettre au lit. Aussitôt il alla trouver le prince Perviz, et ils allèrent ensemble à l’appartement de la princesse, qui n’étoit pas encore couchée ; ils lui demandèrent pardon de ce qu’ils venoient l’importuner à une heure indue, et ils lui exposèrent le sujet avec toutes les circonstances de leur rencontre avec le sultan.
La princesse Parizade fut alarmée de cette nouvelle.
« Votre rencontre avec le sultan, dit-elle, vous est heureuse et honorable, et dans la suite, elle peut vous l’être davantage ; mais elle est fâcheuse et bien triste pour moi. C’est à ma considération, je le vois bien, que vous avez résisté à ce que le sultan souhaitait ; je vous en suis infiniment obligée : je connais en cela que votre amitié correspond parfaitement à la mienne. Vous avez mieux aimé, pour ainsi dire, commettre une incivilité envers le sultan, en lui faisant un refus honnête, à ce que vous avez cru, que de préjudicier à l’union fraternelle que nous nous sommes jurée ; et vous avez bien jugé que si vous aviez commencé à le voir, vous seriez obligés insensiblement à m’abandonner pour vous donner tout à lui. Mais croyez-vous qu’il soit aisé de refuser absolument au sultan ce qu’il souhaite avec tant d’empressement comme il le paraît ? Ce que les sultans souhaitent, sont des volontés auxquelles il est dangereux de résister. Ainsi, quand en suivant mon inclination, je vous dissuaderais d’avoir pour lui la complaisance qu’il exige de vous, je ne ferais que vous exposer à son ressentiment et qu’à me rendre malheureuse avec vous. Vous voyez quel est mon sentiment. Avant néanmoins de rien conclure, consultons l’OISEAU QUI PARLE, et voyons ce qu’il nous conseillera : il est pénétrant et prévoyant, et il nous a promis son secours dans les difficultés qui nous embarrasseraient. »
La princesse Parizade se fit apporter la CAGE ; et après qu’elle eut proposé la difficulté à l’OISEAU, en présence des princes, elle lui demanda ce qu’il était à propos qu’ils fissent dans cette perplexité. L’OISEAU répondit : « Il faut que les princes vos frères correspondent à la volonté du sultan, et même qu’à leur tour ils l’invitent à venir voir votre maison. »
« Mais, OISEAU, reprit la princesse, nous nous aimons mes frères et moi d’une amitié sans égale ; cette amitié ne souffrira-t-elle pas de dommage par cette démarche ? »
« Point du tout, repartit l’OISEAU : elle en deviendra plus forte. »
« De la sorte, répliqua la princesse, le sultan me verra. »
« L’OISEAU lui dit qu’il était nécessaire qu’il la vît, et que le tout n’en irait que mieux. » Le lendemain les princes Bahman et Perviz retournèrent à la chasse, et le sultan, d’aussi loin qu’il se put faire entendre, leur demanda s’ils s’étaient souvenus de parler à leur sœur. Le prince Bahman s’approcha et lui dit :
« Sire, votre Majesté peut disposer de nous, et nous sommes prêts à lui obéir ; non-seulement nous n’avons pas eu de peine à obtenir le consentement de notre sœur, elle a même trouvé mauvais que nous ayons eu cette déférence pour elle, dans une chose qui était de notre devoir à l’égard de votre Majesté. Mais, Sire, elle s’en est rendue si digne, que si nous avons péché, nous espérons que votre Majesté nous le pardonnera. »
« Que cela ne vous inquiète pas, reprit le sultan ; bien loin de trouver mauvais ce que vous avez fait, je l’approuve si fort, que j’espère que vous aurez pour ma personne la même déférence, pour peu que j’aie de part dans votre amitié. »
Les princes confus de l’excès de bonté du sultan, ne répondirent que par une profonde inclination, pour lui marquer le grand respect avec lequel ils le recevaient.
Le sultan, contre son ordinaire, ne chassa pas longtemps ce jour-là. Comme il avait jugé que les princes n’avoient pas moins d’esprit que de valeur et de bravoure, l’impatience de s’entretenir avec plus de liberté, fit qu’il avança son retour. Il voulut qu’ils fussent à ses côtés dans la marche : honneur qui, sans parler des principaux courtisans qui l’accompagnaient, donna de la jalousie, même au grand visir, qui fut mortifié de les voir marcher avant lui.
Quand le sultan fut entré dans sa capitale, le peuple, dont les rues étaient bordées, n’eut les yeux attachés que sur les deux princes Bahman et Perviz, en cherchant qui ils pouvaient être, s’ils étaient étrangers ou du royaume.
« Quoi qu’il en soit, disaient la plupart, plût à Dieu que le sultan nous eût donné deux princes aussi bien faits et d’aussi bonne mine. Il pourrait en avoir à peu près de même âge, si les couches de la sultane, qui en souffre la peine depuis longtemps, eussent été heureuses. »
La première chose que fit le sultan en arrivant dans son palais, fut de mener les princes dans les principaux appartements, dont ils louèrent la beauté, les richesses, les meubles, les ornemens et la symétrie, sans affectation, et en gens qui s’y entendaient. On servit enfin un repas magnifique, et le sultan les fit mettre à table avec lui ; ils voulurent s’en excuser, mais ils obéirent dès que le sultan leur eut dit que c’était sa volonté.
Le sultan qui avait infiniment d’esprit, avait fait de grands progrès dans les sciences, et particulièrement dans l’histoire, avait bien prévu que par modestie et par respect, les princes ne se donneraient pas la liberté de commencer la conversation. Pour leur donner lieu de parler, il la commença, et y fournit pendant tout le repas ; mais sur quelque matière qu’il ait pu les mettre, ils y satisfirent avec tant de connaissance, d’esprit, de jugement et de discernement, qu’il en fut dans l’admiration.
« Quand ils seraient mes enfants, disait-il en lui-même, et qu’avec l’esprit qu’ils ont, je leur eusse donné l’éducation, ils n’en sauraient pas davantage, et ne seraient ni plus habiles, ni mieux instruits. »
Il prit enfin un si grand plaisir dans leur entretien, qu’après avoir demeuré à table plus que de coutume, il passa dans son cabinet, après être sorti, où il s’entretint encore avec eux très-long-temps. Le sultan enfin leur dit :
« Jamais je n’eusse cru qu’il y eût à la campagne des jeunes seigneurs, mes sujets, si bien élevés, si spirituels, et aussi capables. De ma vie je n’ai eu entretien qui m’ait fait plus de plaisir que le vôtre ; mais en voilà assez, il est temps que vous vous délassiez l’esprit par quelque divertissement de ma cour, et comme aucun n’est plus capable d’en dissiper les nuages que la musique, vous allez entendre un concert de voix et d’instruments qui ne sera pas désagréable. »
Comme le sultan eut achevé de parler, les musiciens qui avoient eu l’ordre entrèrent et répondirent fort à l’attente qu’on avait de leur habileté. Des farceurs excellents succédèrent au concert, et des danseurs et des danseuses terminèrent le divertissement.
Le deux princes qui virent que la fin du jour approchait, se prosternèrent aux pieds du sultan, et lui demandèrent la permission de se retirer, après l’avoir remercié de ses bontés et des honneurs dont ils les avait comblés ; et le sultan en les congédiant, leur dit :
« Je vous laisse aller, et souvenez-vous que je ne vous ai amenés à mon palais moi-même, que pour vous en montrer le chemin, afin que vous y veniez de vous-mêmes. Vous serez les bien venus ; et plus souvent vous y viendrez, plus vous me ferez de plaisir. « 
Avant de s’éloigner de la présence du sultan, le prince Bahman lui dit :
« Sire, oserions-nous prendre la liberté de supplier votre Majesté de nous faire la grâce à nous et à notre sœur, de passer par notre maison, et de s’y reposer quelques moments, la première fois que le divertissement de la chasse l’amènera aux environs : elle n’est pas digne de votre présence ; mais des monarques quelquefois ne dédaignent pas de se mettre à couvert sous une chaumière. »
Le sultan reprit :
« Une maison de seigneurs, comme vous l’êtes, ne peut être que belle et digne de vous. Je la verrai avec un grand plaisir, et avec un plus grand de vous y avoir pour hôtes vous et votre sœur, qui m’est déjà chère sans l’avoir vue, par le seul récit de ses belles qualités, et je ne différerai pas de me donner cette satisfaction plus longtemps que jusqu’après demain. Je me trouverai de grand matin au même lieu où je n’ai pas oublié que je vous ai rencontrés la première fois ; trouvez-vous-y, vous me servirez de guide. »
Les princes Bahman et Perviz retournèrent chez eux le même jour ; et quand ils furent arrivés, après avoir raconté à la princesse l’accueil honorable que le sultan leur avait fait, ils lui annoncèrent qu’ils n’avoient pas oublié de l’inviter à leur faire l’honneur de voir leur maison en passant, et que le jour de sa visite serait celui d’après le jour qui devait suivre.
« Si cela est ainsi, reprit la princesse, il faut donc dès-à-présent songer à préparer un repas digne de sa Majesté, et pour cela il est bon que nous consultions l’OISEAU QUI PARLE, il nous enseignera peut-être quelque mets qui sera plus du goût de sa Majesté que d’autres. »
Comme les princes se furent rapportés à ce qu’elle jugerait à propos, elle consulta l’OISEAU en son particulier après qu’ils se furent retirés.
« OISEAU, dit-elle, le sultan nous fera l’honneur de venir voir notre maison, et nous devons le régaler ; enseigne-nous comment nous pourrons nous en acquitter, de manière qu’il en soit content. »
« Ma bonne maîtresse, reprit l’OISEAU, vous avez d’excellents cuisiniers, qu’ils fassent de leur mieux ; et sur toutes choses qu’ils lui fassent un plat de concombres, avec une farce de perles, que vous ferez servir devant le sultan, préférablement à toute autre mets, dès le premier service. »
« Des concombres avec une farce de perles, se récria la princesse Parizade avec étonnement ! OISEAU, tu n’y penses pas, c’est un ragoût inoui ! Le sultan pourra bien l’admirer comme une grande magnificence, mais il sera à table pour manger, et non pas pour admirer des perles. De plus, quand j’y emploierais tout ce que je puis avoir de perles, elles ne suffiraient pas pour la farce. »
« Ma maîtresse, repartit l’OISEAU, faites ce que je dis, et ne vous inquiétez pas de ce qui en arrivera : il n’en arrivera que du bien. Quant aux perles, allez demain de bon matin au pied du premier arbre de votre parc, à main droite, et faites-y creuser, vous en trouverez plus que vous n’en aurez besoin. »
Dès le même soir, la princesse Parizade fit avertir un jardinier de se tenir prêt ; et le lendemain de grand matin, elle le prit avec elle, et le mena à l’arbre que l’oiseau lui avait enseigné, et lui commanda de creuser au pied. Eu creusant, quand le jardinier fut arrivé à une certaine profondeur, il sentit de la résistance, et bientôt il découvrit un coffret d’or d’environ un pied en quarré qu’il montra à la princesse.
« C’est pour cela que je t’ai amené, lui dit-elle : continue, et prends garde de le gâter avec la bêche. »
Le jardinier enfin tira le coffret, et le mit entre les mains de la princesse. Comme le coffret n’était fermé qu’avec de petits crochets fort propres, la princesse l’ouvrit, et elle vit qu’il était plein de perles, toutes d’une grosseur médiocre, mais égales et propres à l’usage qui devait être fait. Très-contente d’avoir trouvé ce petit trésor, après avoir refermé le coffret, elle le mit sous son bras, et reprit le chemin de la maison, pendant que le jardinier remettait la terre du pied de l’arbre au même état qu’auparavant.
Les princes Bahman et Perviz qui avoient vu chacun de son appartement la princesse leur sœur dans le jardin, plus matin qu’elle n’avait de coutume, dans le temps qu’ils s’habillaient, se joignirent dès qu’ils furent en état de sortir, et allèrent au-devant d’elle ; ils la rencontrèrent au milieu du jardin, et comme ils avoient aperçu de loin qu’elle portait quelque chose sous le bras, et qu’en approchant ils virent que c’était un coffret d’or, ils en furent surpris.
« Ma sœur, lui dit le prince Bahman en l’abordant, vous ne portiez rien quand nous vous avons vue suivie d’un jardinier, et nous vous voyons revenir chargée d’un coffret d’or. Est-ce un trésor que le jardinier a trouvé, et qu’il était venu vous annoncer ? »
« Mes frères, reprit la princesse, c’est tout le contraire : c’est moi qui ai mené le jardinier où était le coffret, qui lui ai montré l’endroit, et qui l’ai fait déterrer. Vous serez plus étonnés de ma trouvaille, quand vous verrez ce qu’il contient. « 
La princesse ouvrit le coffret ; et les princes émerveillés quand ils virent qu’il étoit rempli de perles, peu considérables par leur grosseur, à les regarder chacune en particulier, mais d’un très-grand prix par rapport à leur perfection et à leur quantité, lui demandèrent par quelle aventure elle avait eu connaissance de ce trésor.
« Mes frères, répondit-elle, à moins qu’une affaire plus pressante ne vous appelle ailleurs, venez avec moi, je vous le dirai. »
Le prince Perviz reprit :
« Quelle affaire plus pressante pourrions-nous avoir que d’être informés de celle-ci qui nous intéresse si fort ? Nous n’en avions pas d’autre que de venir à votre rencontre. »
Alors la princesse Parizade, au milieu des deux princes, en reprenant son chemin vers la maison, leur fit le récit de la consultation qu’elle avait faite avec l’OISEAU, comme ils étaient convenus avec elle, de la demande, de la réponse, et de ce qu’elle lui avait opposé au sujet du mets de concombres farcis de perles, et du moyen qu’il lui avait donné d’en avoir, en lui enseignant et lui indiquant le lieu où elle venait de trouver le coffret. Les princes et la princesse firent plusieurs raisonnements pour pénétrer à quel dessein l’OISEAU voulait qu’on préparât un mets de la sorte pour le sultan, jusqu’à faire trouver le moyen d’y réussir. Mais enfin, après avoir bien discouru pour et contre sur cette matière, ils conclurent qu’ils n’y comprenaient rien, et cependant qu’il fallait exécuter le conseil de point en point, et n’y pas manquer.