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Histoire d’Alaeddin

Aslan, de plus en plus surpris, alla trouver sa mère ; et s’étant enfermé seul avec elle, la pria de lui dire le nom de son père ? « Votre père, mon fils, répondit Jasmin avec émotion, est l’émir Khaled, wali de Bagdad. » « Non, non, s’écria Aslan, vous me trompez, c’est Alaeddin Aboulschamat. »
À ce nom, prononcé avec feu, et qui lui rappelait de si douloureux souvenirs, Jasmin se mit à fondre en larmes, et demanda à son fils quelle était la personne qui avait pu lui découvrir un secret qu’elle cachait depuis si longtemps au fond de son cœur ? « C’est Ahmed Aldanaf, répondit-il. » Et alors il raconta à sa mère tout ce qui venait de se passer.
« Mon fils, dit Jasmin, quand Aslan eut achevé son récit, la vérité se découvrira sans doute un jour, et le mensonge sera confondu. Oui, mon cher fils, Alaeddin Aboulschamat est votre père ; et l’émir Khaled, qui vous en a tenu lieu jusqu’ici, et qui vous a fait élever avec tant de soin, n’est que votre père adoptif. »
Aslan, certain de son origine, s’empressa d’aller trouver Ahmed Aldanaf. Il lui baisa les mains en l’abordant, et lui dit : « Jasmin m’a confirmé ce que vous m’avez annoncé le premier. Sa bouche a prononcé le nom de mon père, le nom d’Alaeddin. Je connais l’attachement que vous aviez pour lui, et je viens vous supplier de m’aider à venger sa mort, à punir son assassin. » « Quel est son assassin, demanda Ahmed Aldanaf étonné ? » « C’est l’infame Comacom, répondit Aslan. » « Comment donc, mon fils, avez-vous fait cette découverte, reprit Aldanaf ? »
« J’ai vu, dit Aslan avec véhémence, j’ai vu entre les mains de Comacom le flambeau d’or, orné de pierreries, qui a été volé au calife. Surpris de l’éclat de ce bijou, je le lui ai demandé ; mais il n’a pas voulu me le donner. Ce flambeau, a-t-il dit, a déjà coûté la vie à quelqu’un ; et il m’a raconté de quelle manière il l’avait dérobé au calife avec d’autres effets, et avait été les enterrer dans l’appartement de mon père. »
« Mon fils, dit Ahmed Aldanaf, il faut user de prudence dans cette conjoncture, et tâcher de vous faire connaître avantageusement du calife avant de lui rien découvrir. Retenez bien ce que je vais vous dire. Quand vous verrez l’émir Khaled prendre son uniforme, et s’armer de toutes pièces, priez-le de vous faire habiller comme lui, et de vous permettre de l’accompagner. Lorsque vous serez en présence de toute la cour, tâchez de vous distinguer par quelque trait de bravoure, ou par quelqu’action d’éclat qui vous fasse remarquer du calife. Si ce prince vous dit : « Aslan, je suis content de toi ; demande-moi ce que tu voudras, » suppliez-le alors de vous venger de l’assassin de votre père. Trompé par la commune opinion, il vous répondra que votre père se porte bien ; informez-le alors, sans hésiter, que vous êtes le fils d’Alaeddin Aboulschamat, que l’émir Khaled n’est que votre père adoptif, et racontez-lui dans le plus grand détail votre aventure avec Ahmed Comacom. Pour prouver ce que vous avancez, suppliez-le de faire fouiller sur-le-champ ce scélérat. »
Aslan, muni de ces instructions, rentra chez l’émir Khaled ; et l’ayant trouvé tout prêt à se rendre à une revue que devait passer le calife, il le pria de le faire habiller comme lui, et de le mener à la revue. L’émir, qui aimait le jeune Aslan comme s’il eût été réellement son fils, consentit volontiers à sa demande. Ils se rendirent dans une plaine hors de la ville, où le calife avait fait dresser des tentes et des pavillons magnifiques. Toute la cour s’y trouva rassemblée, et l’armée y était déjà rangée en bataille.
Pendant la revue, Aslan se tint constamment auprès de l’émir Khaled. Après quelques évolutions militaires, on voulut donner au prince le spectacle du jeu de mail. On apporta des boules et des mails, et plusieurs cavaliers se mirent à faire preuve d’adresse en se renvoyant réciproquement les boules.
Parmi ces cavaliers, se trouvait un homme envoyé secrètement par des ennemis du calife, et qui était venu dans le dessein de le tuer. Il saisit une boule, et la frappa de toutes ses forces, en la dirigeant droit au visage du prince. Aslan, attentif à tout ce qui se passait autour du calife, détourna le coup, et renvoya la boule avec tant de vigueur vers celui qui l’avait lancée, qu’il l’atteignit au milieu de la poitrine, et le renversa de dessus son cheval.
Le calife s’aperçut du danger qu’il avait couru, et dit tout haut : « Béni soit celui à qui je suis redevable de la vie. » Le jeu cessa aussitôt ; tous les officiers descendirent de cheval ; et lorsqu’on eut apporté des siéges, le calife ordonna de faire comparaître devant lui le téméraire qui avait osé diriger la boule sur sa personne.
« Cavalier, lui dit-il, qui a pu te pousser à commettre un pareil attentat ? Est-tu ami ou ennemi ? »
« Ennemi, répondit fièrement le cavalier, et j’en voulais à ta personne. »
« Pour quelle raison, demanda le prince ? Tu n’es donc pas un vrai Musulman ? »
« Non pas Musulman comme tu l’entends, répondit-il ; mais je me fais gloire d’être sectateur d’Aly. »
À ces mots, le calife rempli d’indignation, ordonna qu’on le fît mourir sur-le-champ. Se tournant ensuite vers Aslan : « Brave jeune homme, lui dit-il, je te dois la vie, demande-moi ce que tu voudras. »
« Souverain Commandeur des croyants, dit Aslan en s’inclinant respectueusement, je vous conjure de me venger de l’assassin de mon père. » « Mais ton père, le voilà, reprit le prince en montrant l’émir Khaled, et Dieu merci il se porte bien. »
« Vous êtes dans l’erreur, Sire, repartit Aslan, l’émir Khaled n’est que mon père adoptif : je suis le fils de l’infortuné Alaeddin Aboulschamat. » « Le fils d’un traître, dit vivement le calife ! »
« Mon père, répondit Alaeddin, ne fut jamais un traître, mais bien le plus fidèle et le plus dévoué de vos serviteurs. » « Ne m’a-t-il pas volé mon manteau et mes bijoux les plus précieux, dit le calife ? »
« Souverain Commandeur des croyants, dit Aslan avec fierté, mon père ne fut jamais un voleur. Je supplie votre Majesté de me dire si son flambeau d’or, enrichi de pierreries, s’est trouvé parmi les bijoux qu’on lui a rapportés. » « Je n’ai jamais pu le retrouver, répondit le calife surpris de cette demande. »
« Eh bien, Sire, continua Aslan, je l’ai vu ce flambeau entre les mains d’Ahmed Comacom. Je le lui ai demandé ; mais il n’a pas voulu me le donner. Ce flambeau, a-t-il dit, a déjà coûté la vie à quelqu’un. »
Là-dessus Aslan raconta au calife la passion d’Habdalum, fils de l’émir Khaled pour la jeune esclave Jasmin, et la maladie qui en fut la suite ; de quelle manière Ahmed Comacom était sorti de prison, et comment il avait volé le manteau royal, le flambeau d’or et les autres bijoux. « Sire, ajouta-t-il en terminant son récit, je vous conjure donc encore une fois, par tout ce qu’il y a de plus sacré, de me venger de l’assassin de mon père. »
Le calife donna aussitôt l’ordre d’arrêter Ahmed Comacom, et de l’amener en sa présence. Lorsqu’il aperçut ce scélérat, il se tourna vers ses gardes, et chercha des yeux Ahmed Aldanaf. Ne le voyant pas, il dépêcha quelqu’un pour le faire venir ; et quand il parut, il lui commanda de fouiller Comacom.
Aldanaf ayant porté la main dans le sein de Comacom, en retira le flambeau d’or, enrichi de pierreries, À cette vue, le calife irrité, s’écria : « Traître, d’où te vient ce bijou ? » « Je l’ai acheté, répondit effrontément Comacom. » « Tu es un imposteur, dit le prince avec indignation ; c’est pour faire périr Alaeddin Aboulschamat, le plus fidèle de mes serviteurs, que tu as commis une pareille atrocité. »
Le calife ordonna aussitôt qu’on donnât la bastonnade à Comacom. Après quelques coups, il avoua qu’il était l’auteur du vol, et fut conduit en prison.
Le calife soupçonnant que l’émir KLhaled était de connivence avec Comacom, voulait aussi le faire arrêter. « Souverain Commandeur des croyants, dit le wali, je suis innocent du crime dont vous me soupçonnez : je n’ai fait qu’exécuter vos ordres en conduisant Alaeddin à la mort, et je vous jure que je n’ai eu aucune connaissance de la trame ourdie contre lui. Ahmed Comacom aura imaginé cet affreux stratagème pour s’emparer de l’esclave Jasmin ; mais je n’en ai aucune connaissance. »
Le wali en achevant ces mots, se tourna vers Aslan, et lui dit : « Si vous êtes sensible à l’amour que je vous ai témoigné, et au soin que j’ai pris de vous depuis votre enfance jusqu’à ce jour, c’est à vous d’intercéder pour moi. »
Le jeune homme, touché de la situation où il voyoit son bienfaiteur, s’empressa d’implorer la clémence du calife en sa faveur. Ce prince demanda au wali ce qu’était devenue Jasmin, mère d’Aslan ? Ayant appris qu’elle était toujours restée chez lui : « Ordonnez, lui dit-il, à votre femme de la faire habiller d’une manière convenable au rang que tenait son époux, et de lui rendre sur-le-champ la liberté. Pour vous, allez lever les scellés que vous avez mis dans le palais d’Alaeddin, et faites rendre à son fils tous les effets, et toutes les richesses qu’il possédoit. »
Le wali exécuta ponctuellement les ordres du calife. Il se rendit chez lui, et prescrivit à sa femme de remettre Jasmin en liberté, et de l’habiller convenablement ; ensuite il alla lui-même lever les scellés qui étaient sur les effets d’Alaeddin, et remit toutes les clefs du palais à Aslan.
Le calife, non content de ces actes de justice, dit à Aslan de lui demander, encore une fois, ce qu’il voudrait, et qu’il le lui accorderait sur-le-champ. Aslan ayant répondu qu’il n’avait qu’une chose à désirer, c’était de revoir son père. « Hélas, mon fils, dit le prince les yeux baignés de larmes, ton père n’est plus ! Que je voudrais moi-même qu’il fût encore en vie, et que je donnerais volontiers à celui qui m’annoncerait cette bonne nouvelle, tout ce qu’il pourroit me demander ! »

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