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Histoire du second frère du barbier

 La cent soixante douzième nuit

« LA vieille, dit le barbier, continua de parler à Bakbarah. « Il ne vous reste plus, ajouta-t-elle, qu’une seule chose à faire, et ce n’est qu’une bagatelle. Vous saurez que ma mai- tresse a coutume, lorsqu’elle a un peu bu, comme aujourd’hui, de ne se pas laisser approcher par ceux qu’elle aime, qu’ils ne soient nus en chemise. Quand ils sont en cet état, elle prend un peu d’avantage, et se met à courir devant eux par la galerie et de chambre en chambre, jusqu’à ce qu’ils l’ayent attrappée. C’est encore une de ses bizarreries. Quelqu’avantage qu’elle puisse prendre, léger et dispos comme vous êtes, vous aurez bientôt mis la main sur elle. Mettez-vous donc vite en chemise ; déshabillez-vous sans faire de façons. »
« Mon bon frère en avait trop fait pour reculer. Il se déshabilla ; et cependant la jeune dame se fît ôter sa robe, et demeura en jupon pour courir plus légèrement. Lorsqu’ils furent tous deux en état de commencer la course, la jeune dame prit un avantage d’environ vingt pas, et se mit à courir d’une vitesse surprenante. Mon frère la suivit de toute sa force, non sans exciter les ris de toutes les esclaves qui frappaient des mains. La jeune dame, au lieu de perdre quelque chose de l’avantage qu’elle avait pris d’abord, en gagnait encore sur mon frère. Elle lui fit faire deux ou trois tours de galerie, et puis enfila une longue allée obscure, où elle se sauva par un détour qui lui était connu. Bakbarah, qui la suivait toujours, l’ayant perdue de vue dans l’allée, fut obligé de courir moins vite à cause de l’obscurité. Il aperçut enfin une lumière vers laquelle ayant repris sa course, il sortit par une porte qui fut fermée sur lui aussitôt. Imaginez- vous s’il eut lieu d’être surpris de se trouver au milieu d’une rue de corroyeurs. Ils ne le furent pas moins de le voir en chemise, les yeux peints de rouge, sans barbe et sans moustache. Ils commencèrent à frapper des mains, à le huer, et quelques-uns coururent après lui, et lui cinglèrent les fesses avec des peaux. Ils l’arrêtèrent même, le mirent sur un âne qu’ils rencontrèrent par hasard, et le promenèrent par la ville exposé à la risée de toute la populace.
« Pour comble de malheur, en passant devant la maison du juge de police, ce magistrat voulut savoir la cause de ce tumulte. Les corroyeurs lui dirent qu’ils avoient vu sortir mon frère dans l’état ou il était, par une porte de l’appartement des femmes du grand visir, qui donnait sur leur rue. Là-dessus, le juge fit donner au malheureux Bakbarah cent coups de bâton sur la plante des pieds, et le fit conduire hors de la ville, avec défense d’y rentrer jamais. »
« Voilà, Commandeur des croyants, dis-je au calife Monstanser Billah, l’aventure de mon second frère, que je voulais raconter à votre Majesté. 11 ne savait pas que les dames de nos seigneurs les plus puissants se divertissent quelquefois à jouer de semblables tours aux jeunes gens qui sont assez sots pour donner dans de semblables piéges… »
Scheherazade fut obligée de s’arrêter en cet endroit, à cause du jour qu’elle vit paraître. La nuit suivante, elle reprit sa narration, et dit au sultan des Indes :

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