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Le conte précédent : Histoire du roi Hanschah et d’Abouteman


Histoire du roi Ibrahim et de son fils

Les visirs jugèrent la circonstance favorable, et résolurent d’en profiter. Ils allèrent trouver les grands du royaume et les principaux d’entre le peuple, et les engagèrent à demander au roi la mort du jeune ministre. Tous y consentirent. Ils se présentèrent devant le roi, et lui firent les compliments d’usage. Le roi leur ayant distribué des grâces, comme il avait coutume de faire, selon le rang que chacun occupait, et voyant qu’ils ne se retiraient pas, jugea qu’ils avoient quelque chose de plus à lui dire, et leur parla ainsi :
« Expliquez-vous librement ; j’aime à entendre en tout temps la vérité : et cette circonstance, en me rapprochant de toutes les classes de mes sujets, me fournit une occasion de m’entretenir avec eux, dont je suis jaloux de profiter. »
« Sire, dit alors l’un d’entr’eux, nous bénissons le ciel de nous avoir fait naître sous votre empire : l’équité, la sagesse, la prudence éclatent dans toutes vos actions ; tous vos sujets vous louent et vous admirent ; mais il faut vous ouvrir ici leurs cœurs ; ils s’étonnent que vous prolongiez de jour en jour l’existence d’un jeune homme que vous avez comblé de bienfaits, et qui vous a indignement trahi. Il est entre vos mains ; les lois exigent qu’il périsse, et vous prêtez sans cesse l’oreille à ses discours trompeurs ! Vous ignorez sans doute que tout le peuple s’entretient de cette affaire, et s’étonne d’une indulgence qui peut avoir les suites les plus funestes. Au nom de la justice, du respect dont nous sommes pénétrés pour votre personne sacrée et pour celle de votre auguste épouse, au nom du repos et de la tranquillité publique, nous vous demandons de ne pas différer plus longtemps la punition du coupable. »
« Je ne doute pas, répondit le roi Azadbakht, que ce que je viens d’entendre ne vous ait été dicté par votre amour et votre attachement pour moi. Le conseil que vous me donnez est sage, mais des raisons particulières m’ont engagé à tenir dans cette circonstance une conduite différente ; et ma puissance est trop bien affermie, pour pouvoir être ébranlée par le retard apporté à l’exécution d’un coupable. Je pourrais, si je voulais, faire périr la moitié de ceux qui sont ici : comment donc hésiterais-je à faire périr un jeune homme que je tiens en ma puissance, dont le crime n’est que trop prouvé, et dont le crime mérite la mort ? Mais la grandeur même du crime me fait retarder sa punition. Je ne prolonge la vie du coupable que pour pouvoir lui reprocher son forfait, et en faire voir de plus en plus l’atrocité. Je soulage par ces reproches répétés, et mon ressentiment, et le ressentiment que tout mon peuple doit avoir de mon injure. »
Le roi Azadbakht ordonna alors qu’on fit venir le jeune homme. « J’ai trop long-temps, lui dit-il, différé ton supplice. Tout le peuple murmure et blâme ma conduite. Le mécontentement s’est fait entendre jusqu’au pied de mon trône. Je dois aujourd’hui satisfaire l’indignation publique, et je ne veux plus entendre tes discours. »
« Ô Roi, reprit le jeune homme, je suis cause, dit-on, que votre peuple murmure contre vous. Mais si le peuple s’entretient de cette affaire, ce n’est qu’à l’instigation de vos visirs. Eux seuls fabriquent et répandent les bruits injurieux, qu’ils font ensuite parvenir jusqu’à vous. Mais j’espère que Dieu fera retomber sur eux leur perfidie et leur méchanceté. Pourquoi le roi se hâterait-il de me faire mourir ? Je suis dans sa main, comme l’oiseau dans celle du chasseur qui l’a pris. Il l’étouffe, s’il veut, et il lui donne la liberté, s’il veut. Ce délai même dont on murmure, ne vient point du roi, mais de celui qui est l’arbitre de la vie et du trépas. Si l’instant de ma mort eût été marqué plutôt, toute la puissance du roi n’aurait pu le reculer, de même que toute la malice de vos visirs ne peut l’avancer. C’est ce qu’éprouva le cruel Balavan, fils aîné du roi Soleïmanschah. Toute sa haine, tous ses attentats contre la vie du jeune prince son neveu furent inutiles. Dieu le retira des portes du trépas, et lui conserva la vie jusqu’au terme marqué par ses décrets. »
« Toutes tes ruses, et tous tes discours, dit Azadbakht, seront bientôt inutiles. Je veux bien encore entendre le récit de cette histoire. »
Le jeune homme continua de parler en ces termes :


Le conte suivant : Histoire de Soleïman-schah