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Histoire du prince Ahmed, et de la fée Pari-Banou

LA sultane Scheherazade fit suivre l’histoire du cheval enchanté par celle du prince Ahmed, et de la fée Pari-Banou [1] ; et en prenant la parole, elle dit :
Sire, un sultan, l’un des prédécesseurs de votre Majesté, qui occupait paisiblement le trône des Indes depuis plusieurs années, avait dans sa vieillesse la satisfaction de voir que trois princes ses fils, dignes imitateurs de ses vertus, avec une princesse sa nièce, faisaient l’ornement de sa cour. L’aîné des princes se nommoit Houssain, le second Ali, le plus jeune Ahmed, et la princesse sa nièce Nourounnihar [2].
La princesse Nourounnihar était fille d’un prince, cadet du sultan, que le sultan avait doté d’un apanage d’un grand revenu, mais qui était mort peu d’années après avoir été marié, en la laissant dans un fort bas âge. Le sultan, en considération de ce que le prince son frère avait toujours répondu à son amitié par un attachement sincère à sa personne, s’éait chargé de l’éducation de sa fille, et l’avait fait venir dans son palais pour être élevée avec les trois princes. Avec une beauté singulière, et avec toutes les perfections du corps qui pouvaient la rendre accomplie, cette princesse avait aussi infiniment d’esprit ; et sa vertu sans reproche, la distinguait entre toutes les princesses de son temps.
Le sultan, oncle de la princesse, qui s’était proposé de la marier dès qu’elle serait en âge, et de faire alliance avec quelque prince de ses voisins, en la lui donnant pour épouse, y songeait sérieusement, lorsqu’il s’aperçut que les trois princes ses fils l’aimaient passionnément. Il en eut une grande douleur. Cette douleur ne venait pas tant de ce que leur passion l’empêcherait de contracter l’alliance qu’il avait méditée, que de la difficulté, comme il le prévoyait, d’obtenir d’eux qu’ils s’accordassent, et que les deux cadets au moins consentissent à la céder à leur aîné. Il leur parla à chacun en particulier ; et après leur avoir remontré l’impossibilité qu’il y avait qu’une seule princesse devînt l’épouse des trois, et les troubles qu’ils allaient causer s’ils persistaient dans leur passion, il n’oublia rien pour leur persuader, ou de s’en rapporter à la déclaration que la princesse en ferait en faveur de l’un des trois, ou de se désister de leurs prétentions, et de songer à d’autres noces dont il leur laissait la liberté du choix, et de convenir entr’eux de permettre qu’elle fût mariée à un prince étranger. Mais quand il eut trouvé en eux une opiniâtreté insurmontable, il les fit venir tous trois devant lui, et il leur tint ce discours :
« Mes enfants, dit-il, puisque pour votre bien et pour votre repos je n’ai pu réussir à vous persuader de ne plus aspirer à épouser la princesse ma nièce et votre cousine ; comme je ne veux pas user de mon autorité en la donnant à l’un de vous préférablement aux deux autres, il me semble que j’ai trouvé un moyen propre à vous rendre contents, et à conserver l’union qui doit être entre vous, si vous voulez m’écouter, et que vous exécutiez ce que vous allez entendre. Je trouve donc à propos que vous alliez voyager chacun séparément dans un pays différent, de manière que vous ne puissiez pas vous rencontrer ; et comme vous savez que je suis curieux, sur toute chose, de tout ce qui peut passer pour rare et singulier, je promets la princesse ma nièce en mariage à celui de vous qui m’apportera la rareté la plus extraordinaire et la plus singulière. De la sorte, comme le hasard fera que vous jugerez vous- mêmes de la singularité des choses que vous aurez apportées, par la comparaison que vous en ferez, vous n’aurez pas de peine à vous faire justice, en cédant la préférence à celui devons qui l’aura méritée. Pour les frais du voyage et pour l’achat de la rareté dont vous aurez à faire l’acquisition, je vous donnerai à chacun une même somme convenable à votre naissance, mais que vous n’emplairez pas néanmoins en dépense de suite et d’équipage, qui, en vous faisant connaître pour ce que vous êtes, vous priverait de la liberté dont vous avez besoin, non-seulement pour vous bien acquitter du motif que vous avez à vous proposer, mais même pour mieux observer les choses qui mériteront votre attention, et enfin pour tirer une plus grande utilité de votre voyage. »
Comme les trois princes avoient toujours été très-soumis aux volontés du sultan leur père, et que chacun de son côté se flattait que la fortune lui serait favorable, et lui donnerait lieu de parvenir à la possession de Nourounnihar, ils lui marquèrent qu’ils étaient prêts à obéir. Sans différer, le sultan leur fit compter la somme qu’il venait de leur promettre ; et dès le même jour ils donnèrent les ordres pour les préparatifs de leur voyage ; ils prirent même congé du sultan pour être en état de partir de grand matin dès le lendemain. Ils sortirent par la même porte de la ville, bien montés et bien équipés, habillés en marchands, chacun avec un seul officier de confiance, déguisé en esclave, et ils se rendirent ensemble au premier gîte, où le chemin se partageait en trois, par l’un desquels ils devaient continuer leur voyage chacun de son côté. Le soir, en se régalant d’un soupé qu’ils s’étaient fait préparer, ils convinrent que leur voyage serait d’un an, et se donnèrent rendez-vous au même gîte, à la charge que le premier qui arriverait attendrait les deux autres, et les deux premiers le troisième, afin que comme ils avoient pris congé du sultan leur père tous ensemble, ils se présentassent de même devant lui à leur retour. Le lendemain à la pointe du jour, après s’être embrassés et souhaité réciproquement un heureux voyage, ils montèrent à cheval, et prirent chacun l’un des trois chemins, sans se rencontrer dans leur choix.

Notes

[1Ce sont deux mots Persans, qui signifient la même chose, c’est-à-dire, GENIE FEMELLE, FEE.

[2Mot arabe, qui signifie LUMIERE DU JOUR.

Le conte suivant : Histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette