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Histoire du roi Hanschah et d’Abouteman

« Les deux petits pages ne demandèrent pas mieux que de dire ce que voulaient les visirs. On leur fit répéter plusieurs fois leur petite conversation, et on leur recommanda de profiter du premier moment où ils seraient seuls avec le roi. L’après-midi le roi s’étant retiré dans sa chambre, et jeté sur son sofa pour se reposer, les enfants s’approchèrent de lui, et entamèrent leur dialogue. Le commencement piqua la curiosité du roi, qui n’eut garde de les interrompre, et fit semblant de dormir.
 » Le dialogue fini, le roi réfléchit sur ce qu’il venait d’entendre. La jeunesse des enfants, leur innocence ne permettait pas de soupçonner leur bonne foi. Ils ne pouvaient être d’intelligence avec personne, et ils ne répétaient que ce qu’ils avoient entendu par hasard. Ces réflexions persuadèrent au roi que son favori était coupable, et enflammèrent sa colère. Il se leva du sofa, feignant de se réveiller, et ordonna qu’on allât chercher sur-le-champ Aboutemam.
« Comment, lui dit-il dès qu’il l’aperçut, faut-il traiter celui qui ne respecte pas la femme d’un autre ? » « Il mérite, répondit Aboutemam, qu’on ne respecte pas la sienne. » « Mais, reprit le roi, celui qui entre dans le palais de son souverain et attente à son honneur dans la personne de son épouse, quelle doit être sa punition ? » « La mort, répondit Aboutemam. » « Traître, s’écria le roi, tu viens de prononcer ton arrêt ! » À l’instant il tira son poignard, le plongea dans le cœur d’Aboutemam, et l’étendit mort à ses pieds. On enleva son corps, et on le jeta dans un puits destiné à cet usage.
 » L’amour du roi pour son épouse l’empêcha de lui parler de l’intelligence qu’il croyait avoir découverte entr’elle et Aboutemam ; mais il en conçut un violent chagrin. Elle ne tarda pas à s’apercevoir de sa tristesse, et lui en demanda souvent la cause : jamais il ne voulut la lui découvrir. Il étoit pareillement affligé d’avoir perdu son premier visir, et ne pouvoit s’empêcher de regretter un homme qui lui avoit rendu de si grands services, et pour qui il avoit eu tant d’attachement et de confiance.
 » Un jour en entrant dans sa chambre, il entendit ses pages parler, faire du bruit dans un cabinet voisin. Il s’approche doucement et prête l’oreille.
« À quoi nous sert cet or, disait l’un : nous ne pouvons le dépenser, ni rien acheter avec ? » « Il m’est odieux, disoit l’autre : il nous a fait commettre une mauvaise action ; car nous sommes cause de la mort d’Aboutemam. Si j’avois su que le roi dût le faire ainsi périr, je n’aurais pas dit du mal de lui. Mais c’est la faute de ces méchants visirs qui nous ont fait dire ce qu’ils ont voulu. »
« Le roi ayant entendu ces discours, ouvrit la porte du cabinet, et trouva les pages qui jouaient avec des pièces d’or. « Malheureux, leur dit-il, qu’avez-vous fait, et d’où vous vient tout cet or ? » Les enfans effrayés se jetèrent à genoux, et demandèrent grâce. « Je vous ferai grâce, leur dit le roi, si vous me dites la vérité ; mais elle seule peut vous sauver des effets de ma colère. »
 » Ces enfans racontèrent avec naïveté tout ce qui s’était passé entr’eux et les visirs, Ilanschah se repentit alors d’avoir cru si facilement son favori coupable, et de l’avoir immolé avec tant de précipitation ; et dans un premier mouvement de colère, il déchira ses habits, se meurtrit le visage, s’arracha la barbe, et s’abandonna au plus violent désespoir.
« Hélas, s’écriait-il, j’ai immolé mon meilleur ami ! Aboutemam vouloit se tenir éloigné de ma cour. Je l’engageai à s’attacher à moi, en l’assurant que jamais je ne prêterais l’oreille a la calomnie ; qu’il n’avait rien à craindre auprès de moi, et c’est moi-même qui l’ai frappé ! Cruelle destinée ! Je ne puis plus maintenant que venger sa mémoire, et faire justice de ses ennemis. »
« Ilanschah manda aussitôt les trois visirs, leur reprocha leur scélératesse, et leur fit couper la tête en sa présence. Il se rendit ensuite chez son épouse, lui avoua qu’il avait été d’abord trompé, et lui raconta la manière dont il avait reconnu son innocence et celle d’Aboutemam. La reine fit alors éclater le chagrin que lui avait causé la fin malheureuse du premier visir. Les deux époux pleurèrent ensemble la mort de celui qui était cause de leur union. Ils donnèrent ordre qu’on retirât son corps du puits dans lequel il avait été jeté, célébrèrent publiquement ses funérailles, et lui firent bâtir, au milieu du palais, un tombeau sur lequel ils allaient souvent répandre des larmes.

« C’est ainsi, ô Roi, continua le jeune homme, qu’Aboutemam fut victime de l’envie, et que ses ennemis portèrent ensuite la peine de leur crime. J’espère que Dieu me fera pareillement triompher des envieux que me suscite la faveur dont vous m’avez honoré, et qu’il vous fera connaître mon innocence. Je ne crains pas de perdre la vie ; mais je crains qu’un repentir inutile ne s’élève dans le cœur du roi et ne le tourmente. L’acharnement de vos visirs contre moi, le desir qu’ils montraient tout-à-l’heure de verser eux-mêmes mon sang, décèlent assez la passion qui les anime. Mon assurance et ma tranquillité au contraire vous montrent mon innocence. Si j’étais coupable, les reproches de ma conscience enchaîneraient ma langue, et troubleroient mon esprit. »
Azadbakht, vivement touché de ce qu’il venait d’entendre, oublia les conseils de ses visirs, et ne put se résoudre à faire périr encore le jeune ministre. « Qu’on le reconduise en prison, dit-il aux soldats. Demain j’examinerai de nouveau cette affaire, et rien désormais ne pourra le soustraire à la mort. »

Les visirs s’étant assemblés le lendemain, se disaient les uns aux autres : « Ce jeune homme rend inutiles tous nos efforts pour le perdre. En vain nous allumons contre lui la colère du roi : il vient toujours à bout de l’apaiser par la magie de ses discours. Cherchons encore un nouveau moyen de hâter son supplice ; car tant qu’il respire nous ne serons pas en sûreté, et nous ne pourrons goûter aucun repos. »
Les visirs, après avoir longtemps délibéré, convinrent d’engager la reine à demander elle-même la punition du jeune homme. Ils allèrent la trouver, et l’un d’eux lui dit :
« Vous ignorez, Madame, ce qui se passe autour de vous, et l’injure qu’on fait à votre réputation. Malgré votre rang, votre puissance, l’éclat et la grandeur qui vous entourent, la calomnie s’attache à votre personne, et vous êtes l’objet de la satire publique. Des femmes parcourent les rues en jouant du tambourin, et mêlent votre nom dans leurs chansons. On dit que vous aimez le jeune ministre, et que vous empêchez le roi de le punir. Ces discours passent de bouche en bouche, et ne cesseront de se répandre de plus en plus tant que ce jeune homme vivra. »
« Ces discours m’offensent vivement, dit la reine, et je veux les faire cesser. Je suis intéressée, je le vois, à hâter la mort de ce jeune homme ; mais que faut-il faire pour cela ? »
« Madame, lui dit un des visirs, il faut aller trouver le roi, vous jeter à ses pieds, lui dire que vous avez appris par vos femmes les bruits qui se répandent dans la ville, et que vous ne pouvez vivre plus long-temps, si ce jeune homme n’est exécuté sur-le-champ. »
La reine, entraînée par cet artifice, se leva aussitôt, et se rendit chez le roi. Elle déchira ses habits devant lui, se jeta à ses pieds, et lui dit en pleurant : « Mon honneur n’est-il pas inséparable du vôtre, et peut-on attaquer ma réputation sans manquer au respect qui vous est dû ? Le crime de ce jeune homme est connu de toute la ville ; votre indulgence pour lui donne lieu à des bruits injurieux que je ne puis supporter plus long-temps. Ordonnez sa mort, ou faites-moi périr moi-même. »
Le discours de la reine produisit l’effet qu’en attendaient les visirs. Le roi lui témoigna qu’il partageait son ressentiment ; que ces bruits l’outrageaient autant qu’elle, et qu’il allait les faire cesser à l’instant. La reine s’étant retirée, on fit entrer le jeune homme.
« Malheureux, s’écrièrent les visirs en le voyant, tu voudrais en vain prolonger maintenant tes jours ! Ton heure est enfin venue, et la terre elle-même a soif de ton sang. « 
« Vos discours, répondit le jeune homme, et votre rage jalouse ne peuvent hâter ma mort. L’instant en est irrévocablement fixé par la Providence ; rien ne saurait ni l’avancer ni le reculer : ce qui est écrit par le doigt de Dieu, ne peut manquer d’arriver, et tous nos efforts, toutes nos précautions ne peuvent nous en garantir. L’histoire du roi Ibrahim et de son fils en est une preuve évidente. »
Azadbakht voulut encore entendre cette histoire, et le jeune homme la raconta en ces termes :


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